Plus impopulaire que jamais, Benjamin Netanyahu joue son avenir politique dans la bande de Gaza
Le procès pour corruption de Benjamin Netanyahu a repris lundi à Jérusalem, après avoir été suspendu suite aux attaques du 7 octobre. Le Premier ministre israélien, qui est âgé de 74 ans, est soupçonné d'avoir reçu de la part de richissimes personnalités de grandes quantités de cadeaux pour environ 700'000 shekels (167'000 francs). Des pots-de-vin qui ont pris la forme de cigares, de bouteilles de champagne et de bijoux distribués entre 2007 et 2016.
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Autre point soulevant les critiques contre le dirigeant, le gouvernement Netanyahu a engagé cette année une réforme du système judiciaire israélien censée limiter le pouvoir de la Cour suprême et accorder à la coalition gouvernementale une majorité au sein du comité en charge de nommer les juges. Cette décision a suscité la colère de nombreux citoyens et citoyennes en Israël qui y voient une atteinte au système démocratique.
Semaine après semaine, des milliers d'opposants ont ainsi manifesté à Tel Aviv et dans d'autres villes du pays pour demander le retrait de cette réforme, mais le gouvernement Netanyahu a continué à avancer, malgré la large opposition. Au mois de juillet, le Parlement israélien a accepté le premier volet de cette réforme judiciaire.
La plus grave crise politique de sa carrière
C'est donc avec une image publique déjà dégradée que Benjamin Netanyahu a essuyé début octobre l'attaque la plus meurtrière qu'Israël ait connue depuis 1948: 1200 morts et près de 250 otages, dont plus de la moitié ont été libérés durant la récente trêve.
Dans les premiers jours qui ont suivi cet événement, un esprit d'union sacrée était perceptible au sein de la population. Politiquement, il s'est traduit par la création d'un gouvernement d'unité nationale. Le temps de la guerre, Benjamin Netanyahu et le chef de l'opposition centriste, Benny Gantz, ont convenu de s'allier avec un but clair: superviser la guerre contre le Hamas.
Mais après le choc du 7 octobre et le début de la guerre dans la bande de Gaza, les regards se tournent à nouveau vers Benjamin Netanyahu et son gouvernement, accusés de ne pas avoir su empêcher l'opération militaire du Hamas. Des critiques qui ont encore pris de l'ampleur depuis qu'un article du New York Times a affirmé la semaine dernière qu'un an avant l'attaque, le renseignement militaire israélien avait mis la main sur un document d'une quarantaine de pages du mouvement islamiste palestinien détaillant, point par point, l'opération.
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Pour l'immense majorité des experts, Benjamin Netanyahu fait actuellement face à la plus grave crise politique de sa carrière. Au cours des dernières semaines, les veillées de soutien et d'hommage aux otages et aux Israéliens tués se sont transformées en des manifestations anti-Netanyahu et en une campagne appelant à sa démission.
Un sondage publié fin novembre par le journal israélien Maariv montre que 30% des personnes interrogées jugent que Benjamin Netanyahu est le mieux placé pour occuper le poste de Premier ministre, contre 49% pour le chef de l'opposition Benny Gantz.
Selon cette même enquête d'opinion, le parti de l’Unité nationale de Benny Gantz obtiendrait 43 sièges à la Knesset contre 12 actuellement si des élections devaient avoir lieu aujourd'hui. En comparaison, le parti Likoud de Benjamin Netanyahu ne remporterait que 18 sièges, contre 32 en novembre 2022.
Une éviction immédiate improbable
Affaires de corruption, réforme judiciaire contestée, attaque sanglante du Hamas sur le sol israélien: les nuages s'accumulent au-dessus de Benjamin Netanyahu. Considéré par beaucoup comme un véritable animal politique, il pourrait toutefois résister à la tempête, au moins à court terme.
En arrivant à trois reprises au pouvoir (1996-1999, 2009-2021 et dès le 29 décembre 2022), celui qui détient désormais le record de longévité en tant que Premier ministre, a montré une capacité à rebondir sans doute inégalée dans l'histoire d'Israël.
Benjamin Netanyahu semble surtout pour l'instant hors d'atteinte car il dispose d'une majorité confortable au Parlement. Au total, sa coalition, composée de 7 partis de droite et d'extrême-droite, dispose de 74 sièges, alors qu'une majorité de 61 fauteuils sur les 120 de la Knesset suffit pour composer un gouvernement.
Pour le renverser, il faudrait donc que 13 membres de sa coalition décident de la quitter ou qu'un vote de censure permette à un autre candidat d'être élu. Des scénarios que les analystes jugent improbables pour le moment, alors que la guerre continue à faire rage.
La guerre au centre des enjeux
Si le Premier ministre semble donc être pour l'instant à l'abri, les défis à sa survie politique dans le plus long terme restent toutefois omniprésents. Outre les défaillances sécuritaires du 7 octobre, c'est la conduite de la guerre dans la bande de Gaza qui est désormais scrutée à la loupe.
Benjamin Netanyahu se trouve ici dans une situation inconfortable, avec des pressions opposées. A l'international, c'est Washington notamment qui somme de plus en plus souvent Israël à la retenue, en insistant sur la nécessité de laisser passer davantage d'aide humanitaire vers l'enclave palestinienne ou en demandant de faire plus attention aux civils.
A l'interne, c'est le discours inverse avec Itamar Ben-Gvir, leader du parti d'extrême-droite Force juive, membre de la coalition et actuel ministre de la Sécurité nationale d'Israël, qui a menacé de renverser le gouvernement si la guerre ne se poursuivait pas après la trêve de quelques jours entre le Hamas et Israël.
Depuis le début de l'intervention, Benjamin Netanyahu a affiché la ferme volonté de "détruire totalement" le Hamas à Gaza. Mais alors même que les forces israéliennes sont entrées dans le sud de l'enclave et que des affrontements violents ont lieu avec le mouvement palestinien, cet objectif semble difficile à atteindre.
Selon le New York Times, qui a recueilli des informations auprès de responsables israéliens, Benjamin Netanyahu chercherait une solution d'entre-deux, capable de redorer son blason et de faire passer cette intervention militaire comme une véritable victoire, tant auprès de sa coalition que des citoyens, qui restent, selon les derniers sondages, très largement opposés à l'arrêt des combats (voir encadré).
D'après le quotidien américain, Benjamin Netanyahu ferait donc actuellement pression auprès de l'armée afin qu'elle assassine Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza et planificateur présumé des attentats du 7 octobre.
Ironie de l'histoire, un plan opérationnel visant à éliminer Yahya Sinouar aurait été présenté à au moins six reprises à Benjamin Netanyahu au cours des dernières années, selon la presse israélienne. Un plan qui aurait toujours été refusé par l'actuel Premier ministre.
L'élimination de Yahya Sinouar pourrait sans doute apaiser certains critiques à l'encontre de Benjamin Netanyahu mais sans doute pas effacer la colère qui anime une large frange de la population à son égard. C'est donc vraisemblablement au moment où les armes se tairont dans la bande de Gaza que le bilan de l'homme d'Etat israélien et ses responsabilités seront analysés dans le moindre détail et que se jouera son avenir politique.
Tristan Hertig