Le retour de David Cameron au gouvernement lors du remaniement ministériel de novembre a fait couler beaucoup d'encre. Rishi Sunak a rappelé l'ancien Premier ministre pour faire remonter sa cote dans les sondages. Cette annonce a éclipsé une autre nomination, également très surprenante: celle d’Esther McVey, 56 ans, en tant que "ministre du bon sens". Cette appellation est un surnom qui lui a été donné en coulisses pour titiller les médias.
"Le titre officiel d’Esther McVey est ministre sans portefeuille", explique mercredi dans Tout un monde Tim Bale, politologue de l’Université Queen Mary de Londres.
"Cela veut dire qu’elle n’exerce pas un rôle dans un ministère en particulier. Sa fonction est plutôt transministérielle: elle a pour mission de mener le combat anti-woke au nom du gouvernement. Elle aura donc sans doute les coudées franches pour intervenir partout où elle identifiera les soi-disant excès de l’élite progressiste et libérale, cette élite que la frange la plus populiste de ce gouvernement adore combattre", analyse le spécialiste du parti conservateur.
Lorsqu'on veut faire la guerre au wokisme, "ministre du bon sens" sonne évidemment mieux que "ministre sans portefeuille". Au Royaume-Uni, tout le monde l’appelle d'ailleurs par ce surnom.
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Manque de clarté
L'objectif d'Esther McVey est donc de faire la chasse au politiquement correct. Les méthodes et les moyens pour y arriver? Tout est très vague pour l'instant…
Interpellée récemment à ce sujet au Parlement, Esther McVey a répondu ainsi: "Je suis déterminée à prendre des décisions découlant du bon sens, telles que: retarder l’interdiction des voitures essences et diesel, ainsi que des chaudières à gaz et fioul, supprimer la ligne de grande vitesse HS2 entre Birmingham et Manchester, réduire le budget d’aide internationale. Ce ne sont que des mesures de bon sens que vous, travaillistes, qui vous trouvez dans le camp opposé, avez rejetées! Nous, conservateurs, sommes pleins de bon sens, et je compte bien poursuivre sur cette trajectoire", a-t-elle déclaré.
Toutes les mesures qu'elle a énumérées ont cependant déjà été prises par le gouvernement. Il n’y a rien de nouveau, comme l’a fait remarquer jeudi avec une pointe d’ironie l’animatrice d’un débat télévisé sur la BBC, provoquant les rires du public.
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"Esther, juste pour être clair, tout cela s’est passé avant que vous ne deveniez ministre du bon sens. Vous avez été nommée ministre du bon sens, est-ce que cela veut dire que les autres ministres du gouvernement n’ont pas assez de bon sens et que vous allez devoir les guider sur la voie du bon sens? Comment ça va se passer?" a demandé Fiona Bruce, la présentatrice de l'émission Question time.
Pas facile d’être "ministre du bon sens" au pays de l’humour et de la dérision… Le clip, qui souligne l’aspect absurde de la situation, n’a pas manqué de faire le tour des réseaux sociaux.
Stratégie politique
Quel intérêt peut bien avoir Rishi Sunak à nommer une telle ministre, si ce n’est de s’exposer à des critiques? Il lui fallait d'abord donner des gages à l'aile radicale de droite du parti conservateur, après la nomination de David Cameron, considéré comme beaucoup plus centriste et libéral sur les questions sociétales. Soixante députés tories ont d'ailleurs formé un "groupe du bon sens".
Le calcul est également électoraliste. Les conservateurs pensent qu’en misant sur les guerres culturelles lors des élections l’an prochain, ils pourront conserver une partie du vote ouvrier gagné en 2019.
Esther McVey, ancienne animatrice sur la chaîne de télé anti-woke GBNews, est une égérie des partisans du conservatisme radical. Brexiteuse, connue pour ses positions controversées, notamment sur le mouvement LGBT+, elle est également originaire de la ville ouvrière de Liverpool, où elle a passé les deux premières années de sa vie dans une famille d’accueil. Son pedigree diffère donc fortement de celui du Premier ministre.
"Rishi Sunak a travaillé dans la finance globale, est issu d’une minorité ethnique et est le produit d’Oxford et de Stanford. Il est plus difficile pour lui, que pour Esther McVey, de communiquer avec les électeurs de ce qu'on appelle le mur rouge, les bastions ouvriers. Je pense qu’en nommant Esther McVey, il admet en quelque sorte qu’il a de la peine à se connecter avec ce type d’électeurs, bien qu’il partage certaines de leurs valeurs", soutient Tim Bale.
Essoufflement des conservateurs
Il n’y a pas eu de sondages spécifiques pour savoir si le concept de "ministre du bon sens" résonne auprès des électeurs. La création de ce poste ne semble pas avoir fait mouche, récoltant tout au plus quelques moqueries. La cote de popularité de Rishi Sunak continue, elle, de dégringoler.
Aux yeux de Tim Bale, le chef du gouvernement fait fausse route. "Cette stratégie de guerre culturelle ne va pas, à mon avis, profiter aux conservateurs comme ils l’espèrent, ou autant qu’ils l’espèrent. Les gens sont maintenant un peu lassés par ce type de politique surtout quand ils ont des soucis beaucoup plus importants, tels que la crise du coût de la vie et des services publics en très mauvais état. Les conservateurs vont peut-être gagner quelques voix, mais ça ne va pas les aider à remporter l’élection", estime-t-il.
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La plupart des commentateurs partagent le point de vue du politologue. Ils considèrent que cette idée de "ministre du bon sens" est surtout de la gesticulation politique, et la preuve que les conservateurs, après 13 ans au pouvoir, sont à bout de souffle et à court d’idées.
Catherine Ilic/ami