Mirjana Spoljaric: "A Gaza, j'ai vu des enfants opérés sans personne pour leur apporter ni nourriture ni eau"
Sur place, la situation est "catastrophique", de la bouche même de la présidente du CICR, interrogée jeudi dans l'émission Tout un monde de la RTS. Elle s'est rendue dans le territoire palestinien en début de semaine. "J'ai été dans le sud. Je n'ai trouvé aucun endroit, aucune rue, aucun quartier où il n'y avait pas des maisons détruites. Pour la population, il devient de plus en plus difficile de s'imaginer où aller pour être en sécurité", a témoigné Mirjana Spoljaric.
J'ai été dans le sud. Je n'ai trouvé aucun endroit, aucune rue, aucun quartier où il n'y avait pas des maisons détruites
Sur place, le travail humanitaire est encore possible, mais il est insuffisant pour sauver les gens affectés par le conflit. "Nous perdons des enfants tous les jours, nous perdrons des civils parce qu'ils n'ont pas accès à l'aide urgente, surtout quand ils sont blessés et que leurs blessures sont graves", alerte-t-elle. C'est en particulier le cas dans le nord de la bande de Gaza, où la plupart des personnes qui s'y trouvent encore "n'ont probablement plus accès ni à l'eau ni à la nourriture". Pour elle, sans nouvelle trêve humanitaire, il sera "impossible d'accéder aux civils qui ont besoin d'aide urgente".
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Focus sur les hôpitaux
Dans son travail quotidien, le CICR met en ce moment l'accent sur les hôpitaux, leur fonctionnement ayant atteint un niveau de précarité extrême. "Il y a un énorme nombre de blessés, notamment d'enfants gravement blessés", et en même temps "de moins en moins de capacité de faire des opérations", déplore Mirjana Spoljaric.
Tout le monde est épuisé. ll y a de moins en moins de matériel nécessaire pour sauver les vies
Et lorsqu'une opération est réalisée, la suite n'est pas forcément meilleure: "J'ai vu des enfants avec de multiples blessures qui ont été amputés. On a pu les sauver, mais maintenant il n'y a personne pour s'en occuper, pour leur apporter de la nourriture, de l'eau, parce que les parents ont été tués. Ils sont mal nourris, ils souffrent...", atteste la présidente du CICR.
Elle pointe aussi du doigt une grave pénurie de chirurgiens: "Nos propres chirurgiens, qui sont là pour soutenir les équipes, travaillent tout le temps. Ils sont épuisés. Tout le monde est épuisé. Il y a de moins en moins de matériel nécessaire pour sauver les vies", relate-t-elle, ajoutant que même les propres équipes du CICR "ne mangent qu'une fois par jour" faute de nourriture en suffisance.
Le CICR défend son rôle auprès des otages
Pas question, pour autant, de baisser pavillon, de fixer un seuil au-delà duquel le CICR se retirera, faute d'être utile. "Nous resterons. Nous sommes là pour apporter de l'aide", assure Mirjana Spoljaric, qui a également tenu à défendre le rôle de l'institution dans le cadre de la crise des otages. Ainsi, contrairement à ce que certaines critiques ont pu laisser paraître lors de la dernière trêve, son action ne s'est pas limitée au transport des personnes libérées, a-t-elle assuré.
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"Vous ne vous rendez pas compte à quel point ces opérations sont délicates, et dangereuses pour toutes les personnes impliquées! Assurer la sécurité des otages au moment de la libération veut dire que nous travaillons étroitement avec le côté israélien [...], avec le Hamas et les groupes armés", défend la cheffe du CICR, qui souligne au passage que l'institution soutient activement les otages encore détenus, contrairement à ce que laissent penser des reproches émis notamment côté israélien.
Simple visite "extrêmement compliqué"
L'accès aux otages restants est d'ailleurs "extrêmement compliqué", explique Mirjana Spoljaric. Une simple visite nécessite un agrément entre toutes les parties afin de ne pas mettre leur vie en danger. Elle reste d'ailleurs évasive sur le nombre de personnes encore détenues et leur localisation précise. "Nous n'avons pas ces informations, et même si nous les avions, on protégerait cette information pour ne pas les mettre en danger".
Pour faire respecter le droit humanitaire, nous n'avons que la confiance des deux parties en notre statut d'acteur neutre, impartial et indépendant
La présidente du CICR rappelle en outre que, comme les autres institutions, la Croix-Rouge ne bénéficie pas de moyens pour faire respecter de force les lois en matière de droit international humanitaire. "Nous n'avons que la confiance des deux parties en notre statut d'acteur neutre, impartial et indépendant. Nous n'avons pas une force policière ou militaire, de moyens coercitifs", rappelle-t-elle, ajoutant que les discussions avec les parties en conflit, Hamas y compris, vont continuer.
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Propos recueillis par Eric Guevara Frey
Adaptation web: Vincent Cherpillod
Antonio Guterres invoque un article inusité depuis plus de 50 ans pour alerter sur Gaza
"Le Secrétaire général peut attirer l'attention du Conseil de Sécurité [de l'ONU] sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales": tel est le contenu de l'article 99 de la Charte des Nations unies. Cet article n'avait pas été activé depuis plus de 50 ans. Le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres l'a fait mercredi face à la situation à Gaza.
Réplique immédiate du ministre israélien des Affaires étrangères: "C'est le mandat de Guterres qui est un danger pour la paix mondiale". Selon lui, l'activation de l'article 99 et l'appel à un cessez-le-feu sont un "soutien à l'organisation terroriste Hamas".
Sur le terrain, l'armée israélienne est d'ailleurs très loin d'un cessez-le-feu. Elle a étendu cette semaine ses opérations sur le sud de la bande de Gaza, zone dans laquelle, au début de son intervention terrestre, elle avait intimé l'ordre à l'ensemble de la population du nord de Gaza de se rendre. Les soldats israéliens ont progressé jusqu'au coeur de la ville de Khan Younès, où de violents affrontements sont en cours.
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