"Je m'appelle Eric Maddox et je suis l'interrogateur qui, en 2003, a traqué Saddam Hussein"
Au printemps 2003, les Américains sont victorieux en Irak après une guerre éclair. Le régime de Saddam Hussein s'effondre. Mais les combats se poursuivent avec l'insurrection irakienne.
Eric Maddox, un ancien interrogateur de l'armée américaine, raconte dimanche dans le 19h30 de la RTS: "Quand nous avons envahi l'Irak, nous avons défait tout ce qui ressemblait au gouvernement ou à l'armée. Nous contrôlions le terrain. Mais c'était la guérilla. Et nous ne savions pas d'où venaient les attaques."
Eric Maddox est donc dépêché en Irak en juillet 2003. Jeune interrogateur inexpérimenté, il est envoyé à Tikrit, la ville d’origine du dictateur.
Isolé à Tikrit, la ville de Saddam Hussein
"C'était très dangereux: beaucoup d'attaques, beaucoup de loyalistes et tous les gardes du corps de Saddam venaient de cette ville. Le réseau du pouvoir à Tikrit, c'est le réseau des gardes du corps", raconte-t-il.
Mais l'armée américaine a ratissé la zone et n'accorde plus d'importance à cette ville. Elle a déjà publié un jeu de cartes des cibles prioritaires: aucune ne se trouve à Tikrit.
Les services de renseignement pensaient que nous étions fous
Isolé, Eric Maddox travaille avec les troupes d'élite de la Delta Force. Il interroge quelque 300 prisonniers, à contre-courant des services de renseignement. "Ils pensaient que nous étions fous à cause de la manière que j'avais de mener mes interrogatoires. Ils se disaient: 'il fait copain-copain avec les prisonniers. Ils lui mentent. Et puis, il n'y a personne du jeu de cartes à Tikrit.'"
Mais à force d’interrogatoires, Eric Maddox établit son propre diagramme de l'insurrection locale: "Si vous voulez trouver quelqu'un, peu importe son rang dans la hiérarchie du gouvernement ou de l’armée, ce qui compte, c’est le niveau de confiance. Mon diagramme est basé sur la confiance."
L'arrestation du garde du corps
Eric Maddox passe cinq mois à Tikrit et grâce à ses interrogatoires, il multiplie les raids sur des cibles de l'ancien régime. Mais chaque arrestation est une prise de risque. "Si vous frappez la mauvaise maison, si vous attaquez des innocents, vous créez une famille d’ennemis."
Si vous frappez la mauvaise maison, si vous attaquez des innocents, vous créez une famille d’ennemis
Ses informations, il les obtient par une méthode peu conventionnelle en temps de guerre, d'après ses dires, une méthode basée sur l’empathie. Il laisse le contrôle de la discussion aux prisonniers en leur faisant comprendre que, s'ils coopèrent, ils auront de meilleures chances d'être libérés. "Tout ce que je faisais, c’était à l'opposé de la torture. Parce que la torture ne marche pas. Après le 11 septembre, seulement 4% des prisonniers collaboraient avec les méthodes américaines d'interrogatoire. Ma méthode permettait d'atteindre 65%."
Il développe: "A travers les prisonniers, vous finissez par réaliser que telle personne n'est pas importante, qu'on peut laisser tomber les investigations. Mais il y a un nom qui revenait chez les prisonniers: Mohammad Ibrahim."
Mohammad Ibrahim al-Muslit est garde du corps du cercle rapproché. Il est l'homme de confiance, celui qui verse l'argent aux dirigeants de l'insurrection, le seul à connaître la cache de Saddam Hussein. "Il avait choisi Mohammad Ibrahim parce qu'il n'avait pas d'ennemi à Tikrit, il était sympathique et populaire, personne ne chercherait à le trahir." Après des mois de recherche, Mohammad Ibrahim est enfin arrêté et Eric Maddox le convainc de parler. Il pointe une ferme à Tikrit.
"Il y avait un pont qui traversait le fleuve Tigre pour mener au territoire des loyalistes à Saddam. Saddam vivait dans une ferme. Et chaque fois que les camions américains traversaient le pont, il savait qu'il devait se terrer dans son trou", raconte encore Eric Maddox.
"Après l’arrestation de Saddam, tout a été si mal géré"
"Cette nuit-là, la Delta Force ne parvient pas à le trouver. Ils cherchent pendant une heure. Finalement, le chef de l'opération retourne au camion, retire la cagoule et les menottes de Mohammad Ibrahim. Et il les amène au trou." Saddam Hussein, hirsute, est retrouvé. L'image fait le tour du monde.
Jugé par un tribunal spécial irakien, Saddam Hussein est exécuté en 2006 par pendaison. Mais l'invasion de l'Irak hantera encore longtemps les Etats-Unis et la population irakienne.
Pour Eric Maddox, si l'invasion de l'Irak était plutôt juste, à la base, c'est ensuite que l'opération a pris une mauvaise direction. "Après l'arrestation de Saddam, tout a été si mal géré. C'est difficile de répondre définitivement à cette question, parce que tellement de gens sont morts."
Sujet TV: Gaspard Kühn
Adaptation web: Julien Furrer