Selon Bertrand Piccard, il faut parler de rentabilité et non de sacrifices pour accélérer la décarbonation
Présent à la COP28 de Dubaï, Bertrand Piccard relève que les relations "conflictuelles" qui y règnent jusqu'à présent freinent les négociations, alors qu'on avance déjà très lentement et que "plus on attend, plus l'effort va être difficile à accomplir".
"La confrontation n'aide pas, ça a été un échec jusqu'à présent", note le président de la fondation Solar Impulse dans un entretien accordé à la RTS aux Emirats arabes unis. Pour lui, il faut donc absolument trouver un "nouveau narratif", une nouvelle stratégie pour diminuer les résistances à l'action climatique.
Expliquer que l'efficience peut être rentable
Bertrand Piccard estime qu'il faut aujourd'hui "comprendre les craintes et les besoins de ceux qui ne pensent pas comme nous" et notamment la crainte de perdre une position dominante, des emplois, des marchés ou des points de PIB. Et plutôt que d'aller à la confrontation, il faut essayer de leur expliquer que "l'efficience peut être rentable", qu'il existe de nouveaux débouchés industriels dans la protection de l'environnement, que les énergies renouvelables deviennent moins chères que les énergies fossiles.
Pour l'explorateur et psychiatre vaudois, mettre constamment en avant la notion de sacrifice quand on parle de sauvegarde du climat n'est pas une bonne stratégie. "On aura le même résultat que dans les 27 premières COP, c'est-à-dire une résistance et un rejet." A ses yeux, les écologistes sont convaincus qu'il faut faire des sacrifices par respect pour la nature et par compassion pour l'humanité, ce qui est très respectable. Mais dans le cadre de la COP, "il faut un autre langage" si l'on veut accélérer la décarbonation, celui de la rentabilité économique. Il faut avancer que l'efficience énergétique peut aussi générer de nouveaux marchés, des investissements rentables. "Ce n'est pas un sacrifice, c'est une diversification, de nouveaux business que l'on développe."
Il faut un autre langage si l'on veut accélérer la décarbonation, celui de la rentabilité économique
Pour celui qui avait réussi le premier tour du monde en ballon en 1999, il s'agit de montrer comment le modèle économique peut évoluer "en vendant de l'efficience, en vendant des solutions propres plutôt qu'en gaspillant avec une quantité de consommation et de production qui nous a menés au désastre environnemental actuel". Et c'est avec ce réalisme qu'on obtiendra un résultat.
"Il faut arrêter de s'attaquer en priorité à tout ce qui est difficile et cher, parce qu'on va buter. Si la condition pour décarboner le monde, c'est d'abord décarboner l'aviation, on ne va jamais aller plus loin", juge encore l'environnementaliste. Il faut selon lui commencer par les fruits qui se trouvent sur les branches les plus basses, qu'on peut cueillir facilement et rapidement. Et de citer pêle-mêle l'électrification de la société, les pompes à chaleur, les chauffages thermiques, les voitures électriques, l'arrêt du gaspillage alimentaire et des eaux. "Quand on parle d'efficience, ce n'est pas simplement mettre des ampoules LED à la place des ampoules à incandescence, c'est toute cette vision-là, c'est faire plus, mieux, en consommant beaucoup moins." Avec ces fruits, "on va déjà décarboner 43% avant 2030", estime-t-il. Et ensuite seulement, on s'attaquera aux fruits plus difficiles à atteindre, comme l'aviation ou le transport maritime.
Sortir des clivages idéologiques
Bertrand Piccard déplore aussi les blocages liés aux clivages idéologiques. "Les partis ne veulent surtout pas donner des voix à leurs concurrents, alors qu'on devrait créer une intersection de tous les domaines où chacun a un avantage", prône-t-il. "Il faut agir ensemble, il y a bien assez de domaines encore pour s'écharper et se disputer en dehors de la transition écologique qui devrait être rassembleuse et fédératrice."
Il y a bien assez de domaines encore pour s'écharper et se disputer en dehors de la transition écologique qui devrait être rassembleuse et fédératrice
Selon lui, tous les partis sont nécessaires pour avancer. Les écologistes pour leur militantisme en faveur du climat, mais aussi les socialistes pour pouvoir avoir moins de factures énergétiques et aider ainsi les gens les plus modestes dans la transition écologique. Il faut aussi un centre-droit pour l'entrepreneuriat, pour les la création d'emplois, et on doit aussi tenir compte des arguments de l'extrême-droite qui veut une souveraineté énergétique.
Le Vaudois estime qu'on n'arrivera à cette souveraineté énergétique qu'avec des énergies renouvelables produites localement par des gens locaux, donc en créant une rentabilité locale et non pas en important du pétrole de pays qu'on ne veut pas.
Interview TV: Pascal Jeannerat
Adaptation web: Frédéric Boillat