L'Assemblée a voté le projet de loi avec 349 voix pour (la plupart des députés de la majorité présidentielle, LR, RN) et 186 voix contre, sur 573 votants. Dans la majorité, vingt députés Renaissance, cinq députés MoDem et deux députés Horizons ont voté contre. Dix-sept Renaissance et quinze MoDem se sont abstenus.
"La majorité a été unie et a pu adopter des mesures extrêmement fortes sur un texte qui, certes, n'est pas parfait puisqu'il est le fruit d'un accord", a commenté le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en soulignant que celui-ci aurait été voté même sans les voix du RN. La Chambre haute, dominée par la droite et le centre, avait adopté le projet de loi par 214 contre 114. Exécutif et PS ont d'ores et déjà annoncé qu'ils allaient saisir le Conseil constitutionnel.
Mardi soir, les grandes manoeuvres étaient de mise à l'Elysée. Lors d'une réunion tenue en urgence, le chef de l'Etat avait dit à ses troupes que la loi ne devait pas être adoptée grâce aux voix du Rassemblement national, envisageant le cas échéant de demander une deuxième délibération parlementaire grâce au mécanisme de l'article 10 de la Constitution.
Majorité divisée
Cette hypothèse semble s'éloigner. Le texte aurait en effet été adopté même si les parlementaires d'extrême droite s'étaient abstenus. Le résultat aurait en revanche été différent s'ils avaient voté contre.
La fracture de la majorité s'éloigne-t-elle pour autant? Selon une source ministérielle, trois membres du gouvernement, Aurélien Rousseau (Santé), Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur), et Patrice Vergriete (Logement), en désaccord avec le texte, avaient "mis leur démission dans la balance" mardi après le ralliement du RN. Le premier a dans la foulée du vote remis sa démission à la Première ministre Élisabeth Borne.
Allié historique du chef de l'Etat, le président du MoDem, François Bayrou, avait en début de soirée fait savoir qu'il "n'acceptera(it) pas" un texte sur l'immigration "revendiqué" par le RN, selon des sources concordantes. Son groupe s'est finalement divisé lors du vote.
"Grossière manoeuvre du RN"
Devant les fissures de son camp, Elisabeth Borne avait dénoncé mardi soir "une grossière manoeuvre du RN" visant avant tout à diviser la majorité et avait appelé les siens à voter le texte. La Première ministre a ensuite estimé que "la majorité a fait bloc".
Reste que la crise est bel et bien ouverte dans le camp du président. Un ministre, sous couvert d'anonymat, explique à l'AFP n'être "pas du tout" à l'aise avec le dénouement et le vote du RN. Le soutien du parti d'extrême droite au texte s'apparente au "baiser de la mort" pour la majorité, s'alarme un député Renaissance, macroniste de la première heure.
"Avec cette loi immigration, nous allons doubler le nombre de régularisations des étrangers qui travaillent. 10'000 travailleurs étrangers supplémentaires seront régularisés chaque année", a cependant plaidé Gérald Darmanin devant le Sénat. C'est la première fois qu'il avançait un tel chiffre qui semble de nature à apaiser l'aile gauche de la majorité.
Le RN finalement en faveur du texte
La foudre s'était abattue sur les macronistes mardi en milieu d'après-midi, lorsque Marine Le Pen a indiqué que les députés RN voteraient finalement pour le texte issu de la CMP, en revendiquant une "victoire idéologique".
Ce cénacle composé de sept députés et sept sénateurs venait d'annoncer être parvenu à un accord sur un texte nettement durci et d'une claire inspiration droitière. Un texte faisant la part belle au concept de "préférence nationale", emblématique du lepénisme, selon ses détracteurs de gauche.
Gauche très critique
"Un grand moment de déshonneur pour le gouvernement", a dénoncé le chef des députés socialistes, Boris Vallaud. Une loi qui "défigure l'image de la France", selon le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon. Au contraire du président du parti Les Républicains (LR) Eric Ciotti qui s'est réjoui d'une "victoire historique pour la droite".
Particulièrement offensif, le président du groupe communiste André Chassaigne a vertement critiqué les concessions faites aux droites: "Vous êtes sur le point de commettre l'irréparable (...) N'ajoutez pas le déshonneur à la compromission", a-t-il lancé à Élisabeth Borne lors des Questions au gouvernement de l'Assemblée.
afp/ami/jfe
Des mesures réclamées par la droite
Dans son compromis, la CMP avait réussi à surmonter un obstacle sur le fond entre le camp présidentiel et la droite: instaurer un délai de carence de cinq ans pour que les étrangers puissent accéder aux aides personnalisées au logement (APL). Un compromis vient réduire à trois mois cette durée pour les étrangers qui travaillent, en exemptant de cette carence les étudiants et les réfugiés.
Le camp présidentiel a validé plusieurs mesures réclamées par la droite, notamment des quotas d'immigration pluriannuels définis au Parlement ou le rétablissement d'un délit de séjour irrégulier puni d'une amende. Le gouvernement a par ailleurs répondu aux ultimatums des Républicains, avec notamment un engagement écrit à réformer l'aide médicale d'État "en début d'année 2024".