1. Qui sont les rebelles yéménites houthis?
Les rebelles houthis tirent leur nom de la tribu des Houthis, originaire des montagnes du nord-ouest du Yémen. Le groupe est issu du Forum des jeunes croyants, une organisation religieuse zaïdite fondée en 1992. Le zaïdisme est une branche de l'islam chiite. Au Yémen, plus de 30% des habitants sont de cette confession.
La marginalisation économique et politique des zaïdites par le gouvernement central yéménite après la réunification du pays en 1990 exacerbe les tensions. De nombreux musulmans zaïdites estiment aussi que la présence croissante de l'islam salafiste, d'influence saoudienne, interfère avec leur héritage culturel et leurs droits.
A l'été 2004, une première guerre civile éclate dans le nord du pays, mais c'est près de 10 ans plus tard, lors du renversement en 2012 du président Ali Abdoulla Saleh au cours du Printemps arabe, que la situation commence réellement à s'envenimer. En 2014, les Houthis s'emparent de Sanaa, la capitale. S'ensuit une guerre civile avec les forces loyalistes, qui seront secondées dès 2015 par l'Arabie saoudite, qui crée une coalition d'une dizaine d'Etats pour venir à bout des rebelles.
Mais malgré une intense campagne de bombardements et un blocus économique dévastateur du point de vue humanitaire, les Houthis ne sont pas défaits. Ils continuent à avoir sous leur contrôle 30% du territoire yéménite et les deux tiers de la population. Incapable de se débarrasser militairement de cette menace à ses frontières, Riyad entame au mois de septembre 2023 des pourparlers de paix avec les rebelles.
2. Quelles sont leurs revendications?
Depuis le mois de novembre, les rebelles houthis ont perpétré plusieurs types d'offensives dans la région de la mer Rouge. Tirs de missiles, attaques de drones ou encore détournement du Galaxy Leader, un navire de transport de véhicules.
Le groupe armé explique cibler les navires qui ont "un lien avec Israël" et exige "la fin du siège de Gaza" et "la libre circulation de l'aide humanitaire" vers l'enclave palestinienne pour cesser ses attaques.
Le mouvement houthi a dès ses débuts ancré son idéologie dans la haine d'Israël, des Etats-Unis, mais également des Juifs. Le slogan de l'organisation est d'ailleurs sans ambiguïté: "Dieu est le plus grand, Mort à l'Amérique, Mort à Israël, Malédiction sur les Juifs, Victoire à l'Islam ".
Si l'objectif des rebelles est donc bien la fin de l'offensive israélienne à Gaza, les attaques ont également une portée interne, estiment les experts. Il s'agit de redorer l'image du groupe auprès d'une population mécontente après des années de disette, un manque de services de base généralisé, et des salaires de fonctionnaires qui ne sont plus payés. "C'est un rêve devenu réalité", résume dans le New York Times Farea Al-Muslmi, chercheuse à Chatham House, un groupe de recherche basé à Londres.
Si l'action des Houthis sert donc avant tout leur propre agenda, il reste fort probable que les attaques cessent au moment où se terminera l'intervention de Tsahal dans la bande de Gaza. "Si l’État hébreu arrête ses frappes à Gaza, les Houthis feront sans doute de même. Pendant la trêve de la fin du mois de novembre, aucun tir houthi n’a été recensé", rappelle dans le Figaro Pierre Razoux, historien spécialisé dans les conflits contemporains.
3. Quels sont leurs soutiens?
Le mouvement houthi est essentiellement soutenu par la République islamique d'Iran. Au cours de la guerre civile yéménite, cette relation s'est peu à peu développée.
Aidés désormais financièrement, politiquement, diplomatiquement, mais surtout militairement par Téhéran, les Houthis sont devenus membres de "l'axe de la résistance" à Israël , "au même titre que d'autres groupes dans la région, le Hezbollah au Liban, des groupes pro-iraniens en Syrie et en Irak", explique jeudi dans l'émission Tout un monde David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique et à l'IRIS. "Même si à la base, ce n'est pas le même chiisme, la milice clanique des Houthis est de plus en plus indexée au régime iranien", ajoute-t-il.
"Ils sont à la fois un instrument, un mandataire pour l'Iran, et en même temps, ils ont leur propre agenda qui ne coïncide pas totalement toujours avec celui de Téhéran", tempère légèrement Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche au CNRS.
4. Quels risques pour le commerce international?
La mer Rouge est au coeur de l'une des trois grandes "autoroutes de la mer", la route eurasiatique. Près de 40% du commerce maritime et 12% du commerce mondial total y entre avant d'emprunter le canal de Suez pour rejoindre la mer Mediterranée.
Les forces houthies disposent d'une position géographique stratégique pour perturber ce trafic, puisque leurs côtes donnent sur le détroit de Bab el-Mandeb, qui sépare Djibouti et l'Erythrée du Yémen, et qui relie la mer Rouge au golfe d'Aden, dans l'océan Indien.
Si la plupart des attaques ont pu être déjouées par des interventions des marines occidentales, la récurrence des attaques de drones et de missiles ont poussé plusieurs géants du transport à suspendre le passage de leurs navires en mer Rouge et à privilégier le contournement du cap de Bonne-Espérance, tout au sud du continent africain, pour rejoindre la Méditerranée.
>> Relire à ce propos : Les attaques des Houthis poussent les géants des conteneurs à éviter la mer Rouge
Conséquences directes de cette crise sécuritaire, certains assureurs refusent désormais de couvrir la navigation en mer Rouge et le prix du pétrole est reparti à la hausse. Si la situation devait se prolonger, c'est le coût des biens importés qui pourrait à son tour grimper en flèche. Selon certains experts, cette augmentation des prix pourrait déjà être visible au mois de janvier.
Sans surprise, la situation impacte par contre déjà le fret maritime du côté israélien. Déjà perturbé par le conflit avec le Hamas dans la bande de Gaza, le port d'Ashdod, l'un des trois plus grands de l'Etat hébreu, tourne désormais au ralenti.
5. Quelle marge de manoeuvre pour la coalition anti-houthis?
Pour faire face à cette situation qui met en péril la liberté de navigation, les Etats-Unis ont mis sur pied une coalition visant à défendre le trafic maritime des attaques houthis. Un temps limitée à 10 membres, elle se compose désormais de plus de 20 Etats dont la France, le Royaume-Uni, le Canada, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l'Espagne, les Seychelles, les Etats-Unis et la Grèce, pays qui ont accepté d'être cités publiquement par le Pentagone.
Cette coalition militaire "doit faire office de gendarme routier, patrouillant en mer Rouge et dans le golfe d'Aden pour répondre aux appels de bateaux commerciaux qui passent par cette voie internationale vitale, et les aider si besoin", a déclaré jeudi à la presse le porte-parole du Pentagone Pat Ryder, demandant encore une fois aux Houthis de cesser leurs attaques.
Dans les faits pourtant, les possibilités de défense des bateaux commerciaux semblent limitées. Depuis début novembre, plusieurs bateaux occidentaux sont arrivés sur place. S'ils ont réussi à éviter des attaques, ils n'ont en aucun cas semblé dissuasifs pour les forces houthis.
Cité dans le Figaro, Pierre Razoux explique notamment que les navires impliqués dans la coalition doivent avoir "des capacités de détection et de lutte antiaérienne", des vaisseaux onéreux dont peu de pays disposent au final. Le coût pour abattre des drones ou des missiles houthis pourrait aussi devenir un véritable problème si la situation devait se prolonger. Les missiles antiaériens occidentaux capables d'abattre ces projectiles dépassent souvent le million de dollars pièce alors qu'un drone Shahed iranien utilisé par les forces houthis ne coûte que 20'000 dollars.
Resterait ainsi la solution de frappes directes sur le sol yéménite ou alors d'opérations terrestres. Une idée qui semble pour l'instant écartée à Washington face au risque d'un véritable embrasement régional, notamment avec Téhéran. Selon le New York Times, des planificateurs américains auraient toutefois déjà préparé des cibles préliminaires si cette appréciation devait changer.
6. Quelle réaction des Etats arabes?
Le blocage de la mer Rouge par les attaques houthis n'est dans l'intérêt économique d'aucun des pays arabes de la région. Pour autant, il est sans doute significatif de souligner que seul le Bahreïn est officiellement entré dans la coalition mise sur pied par les Etats-Unis. Une participation qui devait certainement être limitée alors qu'un mouvement civil a appelé à une manifestation vendredi 22 décembre pour dénoncer cette collaboration.
Même Riyad, qui est pourtant toujours officiellement en conflit avec le groupe rebelle yéménite, ne semble pas intéressé par toute nouvelle forme d'escalade.
La crainte d'une escalade avec Téhéran semble dissuader les acteurs régionaux d'intervenir. De plus, rejoindre la coalition pourrait engendrer des préjudices d'image, en raison du risque associé à s'opposer à des actions qui sont présentées comme étant en faveur de Gaza et de la Palestine, toujours extrêmement populaires au sein des populations arabes.
Tristan Hertig
Quid de la Chine?
L'accès à la Mer rouge est également vital pour la Chine pour l'accès au pétrole du Golfe et pour le passage de ses marchandises vers l'Europe.
Jeudi, Pékin a dit s'opposer à toute attaque contre des navires civils en mer Rouge.
"La mer Rouge est une route internationale importante pour le commerce et l'énergie, et le maintien de la sécurité et de la stabilité dans la région est dans l'intérêt commun de la communauté internationale", a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, sans toutefois clairement condamner les Houthis.
Disposant d'une base militaire à Djibouti, juste en face du Yémen, la Chine pourrait théoriquement aussi intervenir militairement. Il est toutefois plus probable qu'elle fasse pression à un moment ou à un autre sur l'Iran, parrain du régime houthi, dont elle est de loin le premier partenaire commercial.