Crémone, dans le nord de l'Italie, figure dans le peloton de tête des villes européennes avec la plus importante pollution atmosphérique, d'après un classement établi cette année par l'Agence européenne de l'environnement. Et ce n'est pas sans conséquences. La population de la ville lombarde paie un lourd tribut, avec une part record de décès prématurés. Sa province recense le plus grand nombre de morts dues aux particules fines en Italie, entre 150 et 200 pour 100'000 habitants, selon une enquête du quotidien britannique The Guardian.
"Par moments, on sent des odeurs étranges. Mais selon moi, le problème, c'est plutôt quand on ne sent rien. Les particules fines n'ont pas d'odeur, mais elles font du mal", témoigne dans La Matinale un Crémonais au marché, place Stradivari.
"Si je reste à Crémone, ce n'est pas l'air que j'aimerais que ma fille respire", déclare une femme devant sa poussette.
"Oui, il y a de la pollution et on la sent. On la voit quand il y a de la brume. Aujourd'hui, c'est une journée dégagée, mais habituellement ce n'est pas comme ça en hiver", abonde une autre habitante de la ville des luthiers.
Mesures de la qualité de l'air
Non loin de la place se trouve une station de mesure des particules fines. Guido Lanzani, le responsable de la qualité de l'air au sein de l'Agence régionale pour la protection de l'environnement de la Lombardie, relève ces données quotidiennement.
"La mesure d'aujourd'hui à cette station de Crémone est de 62 microgrammes par mètre cube. C'est au-dessus de la valeur limite", indique-t-il. Selon les standards européens, l'exposition ne doit pas excéder 50 microgrammes quotidiens par mètre cube d'air, et ce plus de 35 jours par an.
"Mais il s'agit d'une situation typique qu'on retrouve ces jours dans toute la plaine du Pô, avec peu de vent et une inversion thermique la nuit qui favorisent une hausse de la pollution", précise le spécialiste.
Une "cuvette" de rétention
En Europe, 98% de la population vit dans une zone où la concentration de particules fines (PM2,5) dans l'air et de particules de diamètre supérieur (PM10) dépasse les limites fixées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), d'après une récente étude d'un consortium de journalistes de l'European Data Journalism Network. Et les valeurs les plus élevées sont enregistrées dans la plaine du Pô.
Les conditions météorologiques et la géographie de cette région, une sorte de "cuvette" coincée entre les Alpes et les Apennins, expliquent en partie cette pollution.
A cela s'ajoutent "une série de problèmes et de sources de pollution", note Pier Luigi Rizzi, membre de la section locale de Legambiente, la plus importante association environnementale italienne.
"Nous avons une agriculture très chimique, avec énormément d'élevages intensifs, une aciérie qui se trouve quasiment dans la ville et un problème de trafic intense", énumère-t-il.
Enfin, il faut aussi prendre en compte le chauffage des bâtiments en hiver.
Mesures jugées insuffisantes
La région lombarde a investi 19 millions d'euros dans des mesures essentiellement incitatives. L'association Legambiente juge ces moyens insuffisants.
"La Lombardie est le moteur économique de l'Italie. Elle devrait donc être la première région à tirer en avant la transition écologique, mais ce n'est pas le cas", déplore Pier Luigi Rizzi.
Le "garde-manger" de l'Italie
La plaine du Pô, au sud de Milan, est en effet une zone névralgique de l'économie de l'Italie, en particulier de son industrie agro-alimentaire.
Le marché de la place Stradivari en témoigne: ses étals débordent de parmesan, de jambons et autres salamis.
"Les gens disent que l'agriculture pollue, mais elle nourrit surtout la population", lance Pietro derrière son comptoir. Le jeune homme possède, avec sa famille, l'une des méga-fermes de cette région qui abrite un tiers du bétail italien.
Certains discours indignent l'agriculteur: "Tous les produits phytosanitaires sont très contrôlés. Ils ne peuvent pas être utilisés à tout va comme le pensent les gens. On peut bien sûr faire des efforts. Mais il faut valoriser l'agriculture et tenir compte des autres sources de pollution, comme l'industrie", soutient-il.
Peu d'agriculture bio
Aux portes de Crémone, la ferme d'Elena Pagliari se présente en modèle alternatif. "J'ai un petit élevage d'une trentaine de bêtes. Habituellement, ici, ce sont des fermes de plusieurs centaines de bêtes", décrit-elle.
Pionnière du bio, Elena Pagliari reste une exception en Lombardie, où 5% des exploitations sont biologiques, contre 20% en moyenne nationale.
"Je suis mal vue par mes collègues agriculteurs. Pour eux, ce que je fais n'est pas soutenable. Mais c'est faux. C'est une agriculture tranquille et qui fait vivre. Pour faire de l'agriculture biologique, j'ai dû planter des arbres. Et creuser des puits pour l'eau. Pour me protéger. Mais contre la pollution de l'air, je ne peux rien faire, elle touche tout le monde", déclare-t-elle.
Amélioration de la situation
Il y a toutefois une bonne nouvelle: "La qualité de l'air n'a jamais été aussi bonne en Lombardie que cette année", se réjouit Guido Lanzani.
"Mais nous devons aller plus loin encore, si on veut respecter les normes de l'OMS. Nous avons fait du chemin, mais la route est encore longue", prévient cependant le scientifique.
L'Union européenne pourrait en effet durcir ses normes. Des débats sont en cours à Bruxelles pour adopter les valeurs limites plus strictes recommandées par l'OMS. La Lombardie ferait alors face à un défi plus grand encore.
Reportage radio: Julie Rausis
Adaptation web: Antoine Michel