Dans son livre "Eloge de l'émeute", le philosophe français Jacques Deschamps décortique ce phénomène pour tenter de le définir et de le comprendre. L'ouvrage a été écrit à la lumière des réactions provoquées en France par le mouvement des gilets jaunes et les mobilisations contre la réforme des retraites, lors desquels des "moments émeutiers" sont survenus.
Il fait aussi écho aux émeutes qui ont secoué le pays l'été dernier à la suite de la mort du jeune Nahel, un adolescent tué par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre.
"A droite comme à gauche, la réaction de la classe politique était toujours la même: on condamnait ces phénomènes de façon péremptoire, affirmée et quelque fois violente, sans jamais chercher à les comprendre. Au lieu de décréter d'emblée que l'émeute est irrationnelle et une irruption de violence insensée, j'ai donc voulu faire l'hypothèse qu'il y avait dans ce phénomène quelque chose d'important qui se jouait au niveau social", a résumé l'écrivain mardi dans La Matinale de la RTS.
La "vie sociale ou biologique" en danger
Pour Jacques Deschamps, si elle semble irrationnelle et qu'elle n'est jamais organisée, l'émeute est en réalité "l'expression d'une réaction presque vitale, d'une oppression tellement forte qu'il n'y a plus d'autre issue que de tout casser autour de soi".
La mobilisation des gilets jaunes a par exemple débuté après l'augmentation des taxes sur l'essence et visait à dénoncer la hausse générale du coût de la vie. Dans les petites villes de province où est né et s'est développé le mouvement, les manifestants se trouvaient dans un état de "mort sociale", avec le sentiment d'être abandonnés et non considérés par l'Etat, analyse le philosophe.
Dans le cas des émeutes qui ont eu lieu dans les banlieues et quartiers populaires français, d'abord en 2005 puis en juillet dernier, les jeunes "vivent la possibilité d'une mort permanente dans leur rapport quotidien à la police, qui s'est aggravé au fil des années". L'émeute traduit ainsi "une réaction de défense lorsque notre vie sociale ou biologique est mise en danger, qui nous renvoie à des mécanismes très archaïques", poursuit-il.
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Transformer le monde
L'émeute porterait donc en elle une puissance émancipatrice. Selon Jacques Deschamps, "c'est une manière presque subconsciente de transformer de façon brutale et soudaine - mais non calculée - le rapport à l'espace public".
Interrogé dans l'émission Tout un monde, l'historien français Jean Garrigues a lui rappelé que les mouvements contestataires peuvent représenter des moments de rupture pour changer de monde et en créer un nouveau.
Il existe au lendemain des grands événements sociaux - tels que les révolutions de 1830 et 1848 en France, et les grandes révoltes sociales de 1936 et 1968 dans le pays - une volonté de reconstruire collectivement un vivre ensemble, relate ce spécialiste d'histoire politique. Dans son livre "Jours heureux", il choisit de mettre en avant une France unie et optimiste, revenant sur des moments où "les Français rêvaient ensemble".
Propos recueillis par Aleksandra Planinic/iar