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La route des Balkans, un parcours emprunté chaque semaine par des milliers d'exilés

Des milliers de migrants sont bloqués depuis plusieurs semaines à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. [EPA/Keystone - Armando Babani]
Reportage sur la route des Balkans empruntée par des milliers d’exilés / Tout un monde / 6 min. / le 26 décembre 2023
La route des Balkans est une route migratoire dont on parle moins. Pourtant, selon Frontex, l'agence européenne des gardes-frontières, au moins 40'000 personnes ont pris cette route cette année. Mais le chiffre réel est probablement bien plus élevé.

Chaque jour, une dizaine de personnes arrivent à Trieste après avoir traversé les Balkans. Cette ville frontalière avec la Slovénie est une porte d'entrée en Italie. Les exilés qui empruntent la route des Balkans viennent d'Afghanistan, du Pakistan, d'Iran ou de Syrie. Ils marchent très souvent pendant des semaines depuis la Bulgarie, en passant par la Serbie et la Croatie.

A quelques mètres de la gare de Trieste se tient un camp unique, caché derrière d'immenses bâtiments totalement délabrés. Loin des regards, ils sont plus de 200 exilés à vivre ici, tentant de survivre sous des tentes qui tiennent à peine debout, au milieu de la boue et des rats.

Pourtant, à quelques centaines de mètres du camp, d'énormes bateaux de croisière déversent chaque jour des centaines de touristes venus découvrir les charmes de cette ville au bord de mer.

"Pas d'eau, pas d'électricité, pas de toilettes"

David, un travailleur social qui intervient chaque jour dans le camp, s'indigne au micro de l'émission Tout un monde de la RTS: "c'est la première image qu'ils ont de l'Italie, c'est une honte. Il n'y a pas d'électricité, pas d'eau, pas de toilettes".

La majorité des exilés présents sont des Afghans et des Pakistanais. La plupart ont déposé des demandes d'asile en Italie. En attendant une réponse, les autorités ne leur proposent aucune solution d'hébergement.

Saif, 25 ans, vit dans une tente depuis trois mois, il déplore les conditions terribles du camp: "il est impossible de dormir ici. Quand il pleut, il y a de l'eau partout, on doit dormir sur le béton dehors".

"C'est faux, il n'y a pas trop de gens"

Pour freiner l'afflux de migrants, le gouvernement de droite et d'extrême droite italien a rétabli les contrôles à la frontière avec la Slovénie, sans succès. Pour prendre en charge ces centaines d'exilés, il n'y a que les ONG.

Gianfranco Schiavone est cofondateur de l'Organisation de solidarité italienne. Il dénonce le désintérêt du gouvernement italien pour le problème de l'hébergement: "si on ne peut pas offrir un toit aux migrants, ce n'est pas parce qu'ils sont trop nombreux, mais parce que le gouvernement ne fait rien".

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Il ajoute que la question est politique: "en créant une mauvaise image des migrants dans la société, c'est facile de dire qu'ils sont trop nombreux et que c'est impossible de les accueillir. Mais c'est faux, il n'y a pas trop de gens".

Contacté par la RTS, le maire de Trieste, proche de la Première ministre d'extrême droite Giorgia Meloni, n'a pas souhaité s'exprimer.

Centre d'accueil ouvert par les ONG

C'est donc sans l'appui des autorités locales que les ONG ont ouvert un centre d'accueil de jour. Madalena Avon, juriste pour ICS, Italian Consortium of Solidarity, explique qu'il y a en moyenne 150 personnes qui passent à différents moments de la journée dans ce local discret en centre-ville.

Beaucoup profitent des prises pour recharger leur téléphone, seul lien avec leurs familles en Afghanistan, au Pakistan ou encore en Syrie.

Goran, 28 ans, a quitté le Pakistan cet été. Il décrit son périple à pied à travers l'Europe: "cela nous a pris environ 25 jours. De la Serbie à la Bosnie, il a fallu traverser une rivière, c'était très difficile. La police et les militaires nous ont créé des problèmes, mais maintenant on espère obtenir l'asile".

Rijeka, point de passage en Croatie

Tous les exilés rencontrés ont emprunté le même chemin pour rejoindre l'Italie. Ils sont passés par une ville croate à une centaine de kilomètres de là: Rijeka.

C'est là que Darmic, de l'ONG Caritas, accueille cinq jeunes Afghans dont deux adolescents qui viennent d'arriver en train. Ces exilés sont méfiants, "mais comment peuvent-ils encore faire confiance après tout ce qu'ils ont dû traverser", relève Darmic.

Caritas a mis en place un point de transit dans la gare pour distribuer de la nourriture, des vêtements. Un dispositif unique en Croatie, un pays redouté par les exilés. Des ONG comme Amnesty International ont documenté de nombreux cas de violences de la police croate contre des réfugiés.

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"Leur rendre leur dignité"

"Nous avons de nombreuses nationalités ici à Rijeka, on se moque de la politique", poursuit Daric. Ce qui importe avant tout, "c'est de leur rendre leur dignité".

Les jeunes Afghans viendront finalement chercher un peu d'aide. Tous sont épuisés physiquement et psychologiquement. Ils expliquent avoir marché pendant quinze jours, en dormant dans des forêts pour éviter la police.

Le petit groupe reprend la route quelques minutes plus tard. Ils traverseront la frontière vers la Slovénie en suivant des chemins dans la montagne.

Sujet radio: Alexandre Rito et Céline Martelet.

Adaptation web: Carlotta Maccarini

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