Des artistes dénoncent un "lynchage" dans l'affaire Depardieu, les féministes atterrées
Une soixantaine de personnalités dont le réalisateur Bertrand Blier, les actrices Nathalie Baye, Carole Bouquet ou Charlotte Rampling, les acteurs Jacques Weber, Pierre Richard ou Gérard Darmon, mais aussi les chanteurs Roberto Alagna, Carla Bruni, Arielle Dombasle ou Jacques Dutronc, ont publié cette tribune lundi soir dans le quotidien Le Figaro.
"Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs. Le dernier monstre sacré du cinéma. Nous ne pouvons plus rester muets face au lynchage qui s'abat sur lui, face au torrent de haine qui se déverse sur sa personne, sans nuance, dans l'amalgame le plus complet et au mépris de la présomption d'innocence", écrivent-ils dans ce texte.
Invitée mardi soir dans Forum, l'avocate parisienne Michelle Dayan rappelle toutefois que si la présomption d'innocence est une valeur cardinale de l'Etat de droit, "elle ne doit pas servir de prétexte pour ne pas accorder un crédit de véracité à la parole des victimes". "La présomption d'innocence n'est pas une valeur absolue qui empêche de prendre position. D'ailleurs, elle n'empêche ni la détention préventive, ni le contrôle judiciaire", souligne-t-elle.
Également invitée dans Forum, l'avocate genevoise Yaël Hayat - qui a notamment été l'avocate de Tariq Ramadan - estime quant à elle que cette tribune est une "respiration": "On assiste depuis quelques semaines à un mouvement totalement étouffant contre Gérard Depardieu, et il est bon que les consciences s'élèvent contre ce procédé, contre ces mises à mort", juge-t-elle.
"La résistance d'un monde d'avant"
Ces personnalités du monde de la culture française - avec autant de femmes que d'hommes, âgés pour la plupart de 60 ans ou plus, une génération proche de celle de Depardieu - n'évoquent pas les victimes présumées du comédien, ni les déclarations obscènes qui ont mené au scandale. "Nous ne souhaitons pas entrer dans la polémique" écrivent les signataires, qui préfèrent rappeler son génie d’acteur et l'importance de son œuvre.
"Il faut relever que toutes ces grandes personnalités (...) sont d'une génération d'avant MeToo", relève encore Michelle Dayan. Au-delà de la question de la présomption d'innocence, "il y a un vrai conflit générationnel: l'affaire Depardieu est aussi l'occasion de raconter une société (...) dont on ne veut plus. Et cette mobilisation, on a l'impression que c'est un peu la résistance d'un monde qui n'est plus acceptable aujourd'hui contre l'émergence d'un monde où le consentement, l'image de la femme et l'égalité des sexes sont absolument essentiels."
Une lecture que ne partage pas Yaël Hayat. Selon elle, "le féminisme d'aujourd'hui est un féminisme néo-guerrier qui fracasse les êtres sur la place publique" derrière le "dogme" de croire les victimes. Selon elle, "le mouvement MeToo ne peut pas cohabiter avec le principe de l'Etat de droit." Elle estime encore que "la vérité judiciaire est la seule vérité."
Déclarations choquantes
La diffusion récente d'un reportage sur l'acteur, dans l'émission "Complément d'enquête" sur la chaîne France 2, a provoqué une onde de choc, avec des répercussions internationales. Sur ces images, Gérard Depardieu multiplie les propos misogynes et insultants en s'adressant à des femmes et à une fillette avec des propos à caractère sexuel.
>> Lire à ce sujet : Un reportage mettant en lumière les remarques sexistes et racistes de Gérard Depardieu suscite l'indignation
Le président français Emmanuel Macron avait déjà notamment pris publiquement la parole pour défendre Gérard Depardieu, inculpé à la suite d'une des deux plaintes dont il fait l'objet en France. L'acteur réfute ces accusations.
Extrait "authentifié"
Le groupe France Télévisions, auquel appartient la chaîne, a assuré vendredi que le passage concernant l'enfant avait été "authentifié" par un huissier de justice. Cette réaction intervenait après des déclarations du chef de l'Etat laissant entendre que la séquence avait pu être modifiée au montage, comme l'avait auparavant affirmé des proches de l'acteur.
Depuis le scandale, Gérard Depardieu a été radié de l'Ordre national du Québec et de son titre de citoyen d'honneur de la commune d'Estaimpuis en Belgique, tandis que sa statue de cire a été retirée du parcours de visite du célèbre musée Grévin à Paris.
mera/jop avec afp
"Un crachat au visage des victimes"
Emmanuelle Dancourt, cofondatrice de #MeTooMedias, s'est dite elle "atterrée" de publication par des personnalités du monde de la culture d'une tribune défendant Gérard Depardieu.
"J'ai l'impression qu'il y a une incompréhension quand j'entends parler de torrent de haine qui se déverse sur Depardieu... Il n'y a jamais de vengeance (de la part de victimes de violences sexuelles, ndlr), mais un besoin de protéger les autres", a-t-elle souligné sur la chaine française BFMTV.
"C'est un crachat au visage des victimes de violences", a réagi auprès de l'AFP le collectif "Nous Toutes".
"On ne comprend pas que le monde de la culture se mobilise, il faudrait utiliser cette voix pour soutenir les victimes", selon Tatiana, militante du collectif.
"C'est une tribune très pédagogique. Ce que l'on voit, c'est comment un entourage va s'organiser et utiliser des arguments tels que 'c'est un monstre sacré, c'est un génie' pour protéger quelqu'un", éclaire la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert.
L'association Les Papillons, qui recueille la parole d'enfants victimes de violences, a elle mis fin au rôle d'ambassadeur de Pierre Richard.