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Comment la Russie contourne les sanctions économiques occidentales

Une vue de la raffinerie de pétrole russe Gazpromneft à Moscou. [EPA/Keystone - Maxim Shipenkov]
Comment la Russie contourne les sanctions économiques / Tout un monde / 6 min. / le 3 janvier 2024
Après l'embargo sur le gaz et le pétrole décrété par l'UE, d'autres sanctions ont été prises en décembre 2022 contre Moscou pour restreindre la capacité du Kremlin à financer sa guerre en Ukraine. Un an plus tard, la Russie a réussi à contourner ces restrictions grâce à une flotte maritime "de l'ombre".

Plafonner le prix de l'or noir russe était un mécanisme inédit dans l'arsenal des sanctions occidentales. Comme la Russie est l'un des principaux producteurs de brut au monde, il fallait trouver un moyen de permettre à son pétrole de continuer à circuler sans que Moscou en tire des revenus trop importants.

Les pays du G7 (les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et le Canada) ont donc fixé à 60 dollars le prix maximal d'un baril de pétrole russe, pour autant qu'il soit transporté par un navire appartenant à ces mêmes pays ou faisant appel à leurs services de négoce ou d'assurance.

Cette règle, imposée depuis décembre 2022, a plutôt bien fonctionné au début, les pays du G7 fournissant les prestations d'assurance pour 90% des cargaisons mondiales. Mais la situation a changé assez rapidement. "En fait, les Russes n'avaient pas suffisamment de structures de transport maritime et de compagnies d'assurance à disposition au début de l'année dernière", explique le fondateur d'Enmetena Advisory, un cabinet d'analyse des risques politiques, Maximilian Hess, mercredi dans l'émission de la RTS Tout un monde.

Et de poursuivre : "Ils ont donc mis sur pied ces assurances alternatives et ils ont acheté toute une série de navires vieillissants, ce qu'on appelle la 'flotte de l'ombre'. Ils ont ainsi pu mettre en place ces structures et proposer de fournir le pétrole, avec des services de transport et d'assurance, ce qu'ils ne pouvaient pas faire avant."

Des entreprises établies aux Emirats

Le bilan au bout d'un an est donc plutôt en demi-teinte. Avant la guerre en Ukraine, les services européens, acteurs majeurs du fret maritime mondial, assuraient deux tiers des exportations maritimes de pétrole russe. Aujourd'hui, cette part est tombée à environ un tiers. En outre, la Russie a aussi fait appel à de nouveaux armateurs.

"Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, on a une série d'entreprises plus ou moins opaques qui ont été créées. Elles sont souvent basées dans des endroits laxistes en matière de régulation d'entreprises, voire des paradis fiscaux comme Dubaï ou Hong Kong", indique Homayoun Falakshahi, analyste chez Kpler, fournisseur franco-belge de données en temps réel sur les marchés des matières premières.

Selon le Financial Times, les pétroliers enregistrés aux Emirats ont transporté en novembre dernier deux fois plus de barils de pétrole russe que les navires enregistrés en Grèce.

Vers la Chine, l'Inde et la Turquie

Chaque jour, des millions de barils quittent les ports de la Baltique ou de la mer Noire pour faire route vers des acheteurs chinois, indiens ou turcs qui réexportent ensuite en partie les produits raffinés. "Les sanctions contre la Russie n'ont pas eu d'impact sur les exportations russes en termes de volume, puisqu'on a simplement assisté à une réorganisation des flux. Plus de 90% du pétrole russe va aujourd'hui vers l'Asie", décrit Homayoun Falakshahi.

Le vice-ministre russe en charge de l'Energie, Alexandre Novak, a déclaré que les recettes pétrolières et gazières ont retrouvé le niveau de 2021, affirmant que les sanctions n'ont pas fondamentalement affecté l'économie russe. Alors que le volume des exportations a augmenté et que le baril russe se vend aujourd'hui à un prix supérieur au plafond de 60 dollars fixé par le G7, il n'est pas sûr que Moscou parvienne à réaliser une énorme plus-value.

"La Russie vend son pétrole au-dessus de 60 dollars. Mais ce n'est toutefois pas le niveau d'avant, dans de bonnes conditions, souligne Patrick Gantes, secrétaire général du Centre de recherches entreprises et sociétés (CRES). La Russie n'a comme seul débouché l'Asie, qui dicte aussi ses conditions. Et l'économie chinoise a de la peine à redémarrer, alors qu'elle est le principal moteur actuel de la croissance pétrolière."

Durcir les sanctions

De leur côté, les Etats-Unis ont augmenté leur production de pétrole et ils semblent prêts à resserrer un peu la vis. Il y a deux mois, Washington a d'ailleurs imposé des sanctions ciblées à deux sociétés, l'une turque et l'autre émiratie, pour avoir contourné la règle des prix.

Cependant, selon Homayoun Falakshahi, des sanctions plus fortes ne sont pas à l'ordre du jour. "Le seul levier serait d'imposer des sanctions secondaires, à l'image de ce qu'imposent les Etats-Unis à l'Iran: tous les acheteurs de pétrole iranien sont sous risque de grosses sanctions par la justice américaine. Mais dans les faits, ce n'est pas appliqué, puisque la Chine importe beaucoup de pétrole iranien. Et les entreprises chinoises qui le font sont rarement sanctionnées", fait savoir Homayoun Falakshahi.

Même si la crainte d'un manque de pétrole et d'une flambée des prix est moins présente aujourd'hui, les Etats-Unis ne prendront aucun risque en année électorale.

Francesca Argiroffo/vajo

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