Le bilan des explosions en Iran lors d'une cérémonie en souvenir du général Soleimani revu à la baisse
Les faits se sont déroulés mercredi près de la mosquée Saheb al-Zaman, où se trouve la tombe du général Soleimani, à Kerman, dans le sud de l'Iran. Une foule compacte composée de représentants du régime et d'anonymes y était rassemblée pour une cérémonie commémorative.
L'agence de presse officielle Irna avait évoqué dans un premier temps un bilan de 103 morts, la télévision d'Etat faisant état de 211 personnes blessées, dont certaines dans un "état critique".
Mais le ministre de la Santé a ensuite révisé à 95 puis à 84 "le nombre exact de personnes tuées dans l'incident terroriste", expliquant que certains noms "avaient été enregistrés deux fois par erreur".
L'attaque la plus meurtrière depuis 1979
L'attaque, la plus meurtrière en Iran depuis 1979, a été rapidement qualifiée d'acte "terroriste" par Rahman Jalali, adjoint au gouverneur de la province de Kerman, dans le sud de l'Iran.
Qassem Soleimani avait été tué en janvier 2020, à l'âge de 62 ans, lors d'une attaque de drone américain en Irak (lire encadré). Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, avait au moment de sa mort décrété trois jours de deuil national.
>> Photo des funérailles de Soleimani en 2020 :Pas de revendication
Cette attaque, qui n'a pas été revendiquée dans l'immédiat, survient dans un contexte régional très tendu depuis le début du conflit il y a près de trois mois entre Israël et le Hamas à Gaza, et au lendemain de l'élimination d'un haut responsable du mouvement islamiste palestinien dans une frappe de drone près de Beyrouth.
Le chef de la force Qods - la branche des opérations extérieures du Corps des gardiens de la révolution islamique -, le général Esmaïl Qaani, a suggéré que les auteurs avaient été "approvisionnés par les Etats-Unis et le régime sioniste".
Les Etats-Unis ont jugé "absurde" toute suggestion que les Etats-Unis ou Israël seraient impliqués dans l'attentat, et assuré qu'aucun pays n'avait "intérêt à une escalade" dans la région.
Un conseiller politique du président iranien a toutefois persisté dans ce sens, accusant Israël et les États-Unis d'être derrière. "Washington affirme que les États-Unis et Israël n'ont joué aucun rôle dans l'attentat terroriste de Kerman, en Iran. Vraiment ? Un renard ne sent pas sa propre odeur", a écrit Mohammad Jamshidi sur X. "La responsabilité de ce crime incombe aux régimes américain et sioniste, et le terrorisme n'est qu'un outil", a-t-il affirmé.
Une journée de deuil décrétée jeudi
Les réactions et condamnations de cette attaque, que ce soit dans la région ou dans le monde, n'ont quant à elles pas tardé à tomber. Le président iranien Ebrahim Raïssi a par exemple dénoncé un acte "lâche" et "odieux", promettant que "les auteurs de cet acte lâche seront bientôt identifiés et punis". Tout comme l'ayatollah Ali Khamenei qui a promis "une réponse sévère" (lire encadré).
L'Iran a d'ailleurs décrété jeudi une journée de deuil nationale dans tout le pays.
"Bombes dissimulée dans deux sacs"
Selon l'agence locale Tasnim, qui cite des sources bien informées, les explosions ont été provoquées par des "bombes dissimulées dans deux sacs". "Les auteurs des faits ont apparemment activé les bombes via une télécommande", selon la même source. L'agence Isna, qui cite le maire de Kerman, explique que les explosions se sont produites à dix minutes d'intervalle.
Selon l'agence officielle Irna, la première explosion a été provoquée par un kamikaze, un homme, dont le corps a été déchiqueté. Pour la seconde, l'enquête se poursuit mais il s'agissait très probablement également d'un kamikaze, selon Irna.
Peu après les explosions, des secouristes étaient à pied d'oeuvre sur place. De nombreuses ambulances étaient également sur les lieux. Parmi les personnes tuées figurent d'ailleurs trois secouristes qui se sont précipités dans la zone après la première explosion, selon le Croissant-Rouge iranien.
"Difficile de savoir qui est derrière"
A la question de savoir qui se cache derrière cette attaque, Frédéric Encel, docteur en géopolitique et professeur à Science Po Paris, propose des pistes de réflexion. "C’est extrêmement difficile pour l'heure de savoir qui en est à l'origine, mais il y a deux hypothèses crédibles, l’une n’excluant pas l’autre", souligne ce grand spécialiste du Moyen-Orient au micro de Forum.
"La première, qui est la mienne, est une hypothèse interne. On oublie trop souvent en Occident qu’il y a des ennemis du régime répressif au pouvoir à Téhéran. Des ennemis de nature politique, mais aussi de type ethnoreligieux ou ethnopolitique." Il donne comme exemple les Baloutches à l’est du pays qui subissent depuis de nombreuses années une très sévère répression, les Azéris au nord, voire les Kurdes à l’ouest. "Ces populations sont des ennemis du régime."
Quant à la deuxième hypothèse qui consiste à penser qu'Israël est responsable, elle ne le convainc pas. "J’émettrais un doute à ce sujet, car le modus operandi ne correspond pas à ce que fait d’habitude Israël, qui privilégie normalement des assassinats ciblés." Selon lui, cibler une foule, et a fortiori une foule réunie dans un cadre commémoratif, ne lui ressemble pas du tout.
Mais les deux hypothèses peuvent être liées. "On peut parfaitement imaginer une aide technique ou logistique israélienne à un attentat perpétré par des mouvements revendicatifs internes", poursuit-il.
agences/vic/fgn
Figure populaire
Qassem Soleimani avait été tué en janvier 2020, à l'âge de 62 ans, lors d'une attaque de drone américain en Irak. Homme clé du régime iranien il était également l'une des personnalités publiques les plus populaires du pays.
Après avoir servi dans la guerre Iran-Irak de 1980-1988, Soleimani a rapidement gravi les échelons pour devenir finalement chef de la Force Qods des Gardiens de la révolution, chargée des opérations extérieures de la République islamique.
Déclaré "martyr vivant" par le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, alors qu'il était encore en vie, Soleimani était considéré comme un héros pour son rôle dans la défaite du groupe djihadiste Etat islamique en Irak et en Syrie. Le guide suprême iranien avait au moment de sa mort en 2020 décrété trois jours de deuil national.
Aux yeux de nombreux Iraniens, ses prouesses militaires et stratégiques ont permis d'éviter la désintégration multiethnique de pays voisins tels que l'Afghanistan, la Syrie et l'Irak.
Condamnations
Le président iranien Ebrahim Raïssi a dénoncé un acte "lâche" et "odieux".
"Il ne fait aucun doute que les auteurs de cet acte lâche seront bientôt identifiés et punis pour leur acte odieux, par les forces de sécurité et les forces de l'ordre compétentes", a déclaré Ebrahim Raïssi dans un communiqué.
Vladimir Poutine "choqué"
Le président russe Vladimir Poutine est quant à lui le premier dirigeant international à condamner l'attentat "choquant par sa cruauté".
"L'assassinat de personnes pacifiques visitant un cimetière est choquant par sa cruauté et son cynisme", a-t-il déploré dans un message envoyé à son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, et à l'ayatollah Ali Khamenei, selon le Kremlin. "Nous condamnons fermement le terrorisme sous toutes ses formes", a ajouté le président russe pour qui l'Iran est un allié.
"Réponse sévère" promise par l'ayatollah Khamenei
L'ayatollah Ali Khamenei a promis "une réponse sévère".
"Les ennemis diaboliques et criminels de la nation iranienne ont une nouvelle fois provoqué un désastre et transformé en martyrs un grand nombre de personnes de notre peuple à Kerman", a déclaré le guide suprême de la Révolution islamique dans un communiqué: "Cette catastrophe connaîtra une réponse savère, si Dieu le veut".
L'ONU "condamne avec force"
Le chef de l'ONU a "condamné avec force" la double explosion en Iran.
"Le secrétaire général (Antonio Guterres) appelle à ce que les responsables soient traduits" en justice, a déclaré sa porte-parole adjointe Florencia Soto Nino dans un communiqué.
L'Union européenne a condamné quant à elle "dans les termes les plus forts" un "acte terroriste".
"L'UE exprime sa solidarité avec le peuple iranien", a indiqué un porte-parole du service diplomatique de l'UE dans un communiqué, dénonçant un "nombre choquant" de victimes civiles. Les auteurs de cet attentat "devront rendre des comptes", ajoute le texte.