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Malgré l'accumulation des crises, MSF reste engagée dans les conflits moins médiatisés

L'invité de La Matinale (vidéo) - Stephen Cornish, directeur général de Médecins Sans Frontières Suisse
L'invité de La Matinale (vidéo) - Stephen Cornish, directeur général de Médecins Sans Frontières Suisse / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 13 min. / le 4 janvier 2024
Le directeur général de Médecins sans frontières Suisse Stephen Cornish a fustigé jeudi l'inaction du monde vis-à-vis de Gaza. Et alors que ce conflit capte l'attention, il a souligné l'importance de ne pas oublier d'autres crises humanitaires passées sous les radars, tout en cherchant l'espoir derrière l'horreur.

La situation dans la bande de Gaza, toujours violemment assiégée par l'armée israélienne, continue d'affoler les organisations humanitaires. Les conditions d'intervention sur place sont toujours plus déplorables. "Il y a une insécurité à peu près totale au quotidien pour nos équipes sur place", alerte Stephen Cornish jeudi dans La Matinale de la RTS. Quatre membres de Médecins sans frontières (MSF) ont déjà été tués.

"On se resserre les coudes et on essaie de poursuivre notre travail malgré tout. Mais ça a des limites! [...] On pourrait être amenés à retirer nos équipes de la bande de Gaza. Ça serait une décision très difficile à prendre, mais on ne peut pas être des martyrs non plus", témoigne le directeur de MSF Suisse.

On ne peut pas être des martyrs non plus

Stephen Cornish, directeur général de MSF Suisse

Sur place, le Canadien fait état de situations dramatiques. "On a même eu affaire à des amputations sans anesthésie. C'est vraiment une horreur sur terre et c'est complètement fait exprès! Il faut vraiment qu'on s'indigne tous et que le Conseil de sécurité mette fin à cette horreur inédite", poursuit-il. "On ne comprend pas comment le monde laisse cette situation se poursuivre."

>> Le suivi de la situation à Gaza : "On ne comprend pas comment le monde laisse cette situation se poursuivre"

Une attention particulière au Darfour

Les horreurs commises en Palestine ne doivent pas faire oublier que d'autres drames occupent les organisations humanitaires, comme les suites des séismes en Turquie/Syrie et au Maroc, la guerre civile au Yémen, le conflit au Nord-Kivu, qui attise les tensions entre la RDC et le Rwanda, ou encore l'insécurité et la malnutrition dans la corne de l'Afrique et au Sahel, aggravées par plusieurs années de sécheresse.

Dans ce triste panorama, MSF Suisse accorde une attention particulière au Darfour, cette région de l'est du Soudan où la guerre a repris en avril 2023, provoquant la fuite de plus d'un demi-million de personnes vers le Tchad voisin. Les équipes régionales de MSF ont été les premières à intervenir. Elles sont aujourd'hui responsables de deux camps de réfugiés et d'environ 200'000 personnes.

Forte solidarité envers les réfugiés

De retour d'un déplacement récent dans la ville frontalière d'Adré, au Tchad, Stephen Cornish témoigne d'un "énorme travail des équipes humanitaires" et du système de santé local, mais aussi des "bras ouverts des communautés" sur place.

"Juste dans la ville d'Adré, où il y a environ 40'000 personnes, ils ont reçu plus de quatre fois leur population. Imaginez une ville comme Yverdon (qui compte quelque 30'000 habitants, ndlr) recevoir plus de 100'000 personnes", illustre-t-il. "C'est vraiment une grande vague de personnes qui ont fui des conflits inédits, des violences terribles, des abus sexuels sur les femmes et des tueries à caractère ethnique. Il y a donc un grand fardeau mental, mais aussi beaucoup de besoins médicaux et humanitaires."

>> Lire sur ce sujet : L'Union européenne alerte sur une possible opération de nettoyage ethnique au Darfour

Plusieurs camps de réfugiés ont été ouverts et sont déjà pleins à craquer. Dans celui d'Ourang notamment, l'eau et l'assainissement posent un grand problème. "On est à peu près à six-huit litres par personne et par jour. Normalement, il faudrait être à quinze litres. Et dans une situation comme celle-là, il y aurait des distributions de savon ou de couvertures, car il commence à faire froid la nuit. Or, tous ces types d'objets n'ont pas été distribués en raison du manque de financement."

>> Réécouter le reportage du 12h30 au Soudan en septembre :

Des réfugiés soudanais à la frontière entre le Soudan et le Tchad à Adrés, au Tchad, le 4 août 2023. [Reuters - Zohra Bensemra]Reuters - Zohra Bensemra
Les réfugiés affluent en masse à la frontière, fuyant les combats qui ravagent le Soudan / Le 12h30 / 2 min. / le 19 septembre 2023

>> Lire aussi : Depuis mai, 1200 enfants sont morts dans des camps de réfugiés au Soudan

L'humanitaire, un secteur en crise

Ce manque de financement n'est pas un phénomène récent: "Beaucoup de gouvernements ont coupé leurs fonds de développement et leurs fonds humanitaires", explique Stephen Cornish.

Quand d'autres organisations coupent leurs projets ou n'interviennent pas, nous devons augmenter nos opérations. Et les fonds ne nous le permettent pas en ce moment

Stephen Cornish, directeur général de MSF Suisse

Face à cette baisse des contributions ainsi qu'à la multiplication des crises dans le monde, nombre d'organisations humanitaires sont confrontées à des difficultés financières. "Ce sont des temps difficiles", confirme le dirigeant de MSF. "L'inflation, les coûts... tout monte plus vite que la récolte de fonds."

Et si ces restrictions affectent davantage d'autres organisations, plus dépendantes de fonds publics, MSF en subit les effets indirects: "Quand d'autres organisations coupent leurs projets ou n'interviennent pas, nous devons augmenter nos opérations. Et les fonds ne nous le permettent pas en ce moment."

Un appui important en Suisse

"Mais on est plutôt chanceux, on n'est pas en crise comme d'autres organisations", poursuit Stephen Cornish. "Et on a 250'000 Suisses et Suissesses qui nous appuient. On arrive donc à mener à bien nos opérations. Il y a encore beaucoup d'empathie, beaucoup de grand coeur" en Suisse, où les gens sont conscients d'être dans un pays très riche avec beaucoup de privilèges, salue le travailleur humanitaire. "Et en tendant la main à ces gens pris dans les conflits, on s'aide aussi nous-mêmes, parce que ça nous rend plus heureux d'être généreux."

On voit aussi beaucoup de beauté dans les conflits. On voit le pire, mais aussi le meilleur. On voit aussi la joie, on voit les succès de tous les jours. Et ça, ça nous encourage

Stephen Cornish, directeur général de MSF Suisse

Malgré les difficultés rencontrées au niveau global, il est hors de question de baisser les bras: "On ne peut pas se permettre de ne pas avoir d'espoir quand on voit qu'on a tous ces soutiens et qu'on a une organisation capable de sauver des vies là où c'est le plus demandé. Et on voit aussi beaucoup de beauté dans les conflits. On voit le pire, mais aussi le meilleur. On voit aussi la joie, on voit les succès de tous les jours. Et ça, ça nous encourage!"

Propos recueillis par Yann Amedro

Texte web: Pierrik Jordan

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