Valéri est homosexuel. Il vit à Moscou et se souvient des jours qui ont suivi la décision de la Cour suprême russe de bannir ce qu'elle a qualifié de "mouvement LGBT international".
"J'étais dehors, habillé de mon manteau de fourrure. Je portais des couleurs assez vives, et j'avais l'impression que les passants réagissaient plus fortement que d'habitude. Quelqu'un m'a poussé avec son épaule. Je lui ai dit que je pensais qu'il y avait assez d'espace pour tout le monde. Le type était très agressif, il s'est mis à me crier dessus", raconte cet employé de théâtre au micro du 19h30.
Valéri a fait le choix de témoigner anonymement car aujourd'hui en Russie afficher son homosexualité peut mener à la prison.
Sous l'impulsion de l'Eglise orthodoxe russe et de Vladimir Poutine qui assimile les droits LGBT à de la "décadence occidentale", la croisade ultra-conservatrice de la Russie se durcit. Après l'interdiction de la dite "propagande LGBT" en 2022, la Cour suprême russe va cette fois plus loin en reconnaissant comme "extrémiste" le "mouvement international LGBT".
"L'homophobie est plus libre désormais"
"On a l'impression que c'est une loi inventée de toutes pièces dans le but d'infliger des amendes ou mettre des gens en prison sans raison. Le champ d'application de cette loi est très vague. Ce qui me fait vraiment peur, c'est que l'homophobie est plus libre désormais", poursuit Valéri.
Tension et incertitude sont devenues le lot quotidien des personnes homosexuelles et transgenres en Russie. Certaines ont d'ailleurs décidé de quitter le pays, c'est le cas du compagnon de Nikita, juriste dans la capitale russe.
"J'ai supprimé mon compte sur le réseau social russe. Et sur Instagram, j'ai supprimé quelques posts avec des symboles de l'arc-en-ciel. Les gens commencent à se demander: peut-on faire un coming-out ou pas?", déplore Nikita. "Les peurs font boule de neige, elles s'accumulent. Et les gens vont se cacher."
Discrétion et dissimulation sont devenues une stratégie de survie pour les Russes en marge d'une société de plus en plus dominée par le conformisme, la peur et la délation.
Laurent Burkhalter/fgn
Une décision judiciaire source de grande angoisse pour la communauté LGBT
La décision de justice qui entre en vigueur mercredi 10 janvier en Russie est source de grande angoisse pour la communauté LGBT. Les audiences ayant été classées secrètes on ne sait pas encore ce qui sera considéré, dans la pratique, comme extrémiste et donc passible de 10 ans de prison.
"Rien que parler des questions LGBT de manière non négative, ou porter le symbole arc-en-ciel, ça pourrait être de l’extrémisme. Si quelqu’un est soupçonné d’appartenir à la communauté LGBT, même s’il n’en fait pas partie, sur cette base, il pourrait se retrouver en prison. Les organisations de défenses des droits LGBT qui menaient encore un travail de manière ouverte en Russie ont fermé dans la précipitation. Les équipes sont parties. Un travail souterrain continuera d’être mené, mais il s’agit d’un très grand risque", explique Evelina Chayka, activiste au sein de l’association Equal PostOst, mercredi dans La Matinale.
En décembre, des descentes policières ont eu lieu dans plusieurs clubs LGBT de la capitale, les données des clients ont été enregistrées par les forces de l’ordre.
"Les parents d’une personne trans ont déclaré à la police que leur enfant était extrémiste, elle a été emmenée au poste. Nous avons pu envoyer un avocat pour qu’elle soit libérée. Nous l’avons aidée à quitter la Russie le soir-même", poursuit Evelina Chayka. L'activiste dit recevoir un très grand nombre de demandes d’aide des personnes LGBT encore en Russie.