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Les opérations israéliennes à Gaza sont-elles constitutives d'un génocide?

Une activiste tient le cadavre d'un faux bébé avec une pancarte sur laquelle on peut lire "Stop genocide - free palestine" lors d'une manifestation de solidarité avec les Palestiniens à Berlin, en octobre 2023. [Keystone - EPA/ Clemens Bilan]
Israël-Palestine: manifestation. - [Keystone - EPA/ Clemens Bilan]
Depuis la riposte israélienne à Gaza après l'attaque sanglante du 7 octobre, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un "génocide" en cours dans l'enclave palestinienne. Mais que désigne concrètement ce terme et peut-on juridiquement l'appliquer à la situation à Gaza? Décryptage avec Marco Sassoli, professeur de droit international à l'Université de Genève.

L’Afrique du Sud a déposé fin décembre une requête auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), lui demandant de se pencher sur les "actes de génocide" commis selon elle par Israël. L’Afrique du Sud estime que le terme "génocide" est justifié, car les actions de l’État hébreu "sont commises avec l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens de Gaza" en tant que partie du groupe national des Palestiniens. En conséquence, elle demande la suspension immédiate des combats à Gaza.

Pour Marco Sassoli, professeur de droit international à l'Université de Genève, cette requête est avant tout stratégique. "Si l'Afrique du Sud avait fait valoir qu'Israël commettait des crimes de guerre, la cour n'aurait tout simplement pas été compétente. Invoquer le génocide permet donc à l’Afrique du Sud de porter l’affaire devant la CIJ. C'est d'ailleurs pour cette même raison que l'Ukraine a saisi en février 2022 la CIJ en faisant valoir le crime de génocide et non pas d’agression", souligne-t-il.

Il n'est juridiquement écrit nulle part qu'un génocide est plus grave qu'une agression ou un crime de guerre. Utiliser ce terme est un moyen de mobiliser plus facilement l'opinion publique internationale

Marco Sassoli, professeur de droit international à l'Université de Genève

En outre, tient à préciser Marco Sassoli, il n'est juridiquement écrit nulle part qu'un génocide est plus grave qu'une agression ou un crime de guerre. "C'est un moyen de mobiliser plus facilement l'opinion publique internationale et également d'obtenir le soutien des Etats tiers. En effet, tout Etat a pour obligation de prévenir le génocide quel que soit l'endroit où il est commis. Le risque d'une telle pratique est qu'on banalise ce crime".

>> Lire également : "Terrorisme", "crimes de guerre": comment qualifier les violences au Proche-Orient

Désaccord de l'opinion publique

L'ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou Hassira, ainsi que plusieurs autres observateurs du conflit ont également utilisé ce terme pour décrire ce qu'il se passe à Gaza. En novembre dernier, sept rapporteurs spéciaux des Nations unies, ont averti du risque de génocide à Gaza. "Nous avons peu de temps pour empêcher un génocide et une catastrophe humanitaire à Gaza", ont-ils notamment alerté.

Sur les réseaux sociaux ou lors de manifestations pro-palestiniennes, nombreuses sont également les personnes qui s'insurgent de la non-utilisation de ce terme pour qualifier les attaques israéliennes à Gaza.

Ce que dit le droit international

Mais l'idée que se fait le grand public du génocide va généralement au-delà de ce que renferme la norme au regard du droit international. Le terme est ainsi souvent brandi dans le but de frapper les consciences et sur la base de considérations morales ou émotionnelles. Or, l'article II de la Convention sur le génocide contient une définition très précise de ce crime.

La Convention sur le génocide conjugue deux grands éléments. Le premier est l’élément psychologique, soit l’intention spécifique de détruire un groupe national, racial, ethnique ou religieux, dans sa totalité ou sa partie. Le second est l'élément matériel, qui comprend des actes comme le meurtre des membres du groupe ou l'atteinte grave à l’intégrité physique des personnes appartenant à ce groupe. En d'autres termes, ce sont toutes les actions coordonnées et intentionnelles visant à détruire les bases fondamentales d'existence d'une communauté humaine.

On peut avec certitude parler de violations du droit humanitaire à Gaza mais pas de génocide

Marco Sassoli, professeur de droit international public à l'Université de Genève

Au regard de cette définition, peut-on donc qualifier les actes commis par Israël à Gaza de génocide? Si le critère matériel est rempli, cela n'est pas le cas de l'intention, répond Marco Sassoli. "Si l'intention des Israéliens était vraiment d'éliminer le groupe en tant que tel, ils n'auraient pas besoin de mener une incursion militaire. Même si les tirs ne respectent pas le principe de proportionnalité, ils visent tout de même, à la base, des objectifs militaires. On peut donc avec certitude parler de violations du droit humanitaire mais pas de génocide" souligne-t-il.

Discours "génocidaires" d'Israël

Marco Sassoli admet toutefois que certains discours, particulièrement déshumanisant, prononcés par des responsables israéliens, prêtent à confusion et revêtent un caractère "génocidaire". Le 10 octobre dernier, quelques jours après l'attaque sanglante du Hamas en Israël, le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, a notamment déclaré que les Palestiniens étaient "des animaux humains". Quelques jours auparavant, Ariel Kallner, membre de la Knesset, le Parlement israélien, déclarait: "aujourd'hui, un seul objectif: la Nakba (ndlr: terme arabe signifiant catastrophe). Une Nakba qui éclipsera la Nakba de 1948".

"Ces discours sont typiquement génocidaires, mais cela reste des discours. Il faut distinguer le discours génocidaire de l'intention que cela se réalise vraiment. Les actes ne sont, pour l'instant, pas dirigés contre la population civile en tant que telle mais contre des cibles militaires, à savoir les combattants du Hamas", explique le spécialiste en droit international humanitaire.

Lorsque l'on parle de génocide, le critère de l'intention est l'élément le plus difficile à établir. C'est aussi cette notion qui rend le crime de génocide si particulier. "La destruction culturelle ne suffit pas, pas plus que la simple intention de disperser un groupe", précise par ailleurs le bureau de la prévention du génocide des Nations unies.

Un terme utilisé par les deux camps

A noter que le terme génocide a également été utilisé par des représentants israéliens pour qualifier les attaques sanglantes commises par le Hamas le 7 octobre dernier. "Ces attaques étaient motivées par une idéologie génocidaire", a ainsi déclaré Yeela Cytrin, conseillère juridique de la mission israélienne à Genève devant les diplomates réunis au siège européen de l'ONU en décembre dernier.

D’un point de vue juridique, il faudra encore passablement de temps pour que la Cour pénale internationale (CPI), habilitée à qualifier un tel crime, se prononce sur le sujet.

Hélène Krähenbühl

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L'histoire derrière le mot génocide

Le terme de génocide a été défini très précisément suite aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Il est utilisé pour la première fois en 1944 par l'avocat Raphaël Lemkin, un réfugié juif d’origine polonaise, à partir du grec "génos", qui peut renvoyer à l'espèce, le genre, la race, et "-cide", un suffixe latin qui signifie tuer. Ce mot est pensé pour désigner les atrocités commises par l'Allemagne nazie, ainsi que d'autres massacres préalables.

Trois génocides sont aujourd'hui reconnus par les Nations unies: l’extermination des juifs en Europe, le génocide des Tutsis au Rwanda et le massacre des musulmans à Srebrenica en Bosnie.