A Gaza, la guerre fait rage sans que personne ne sache combien de temps elle va encore durer. En coulisse, les médiateurs menés par le Qatar et l’Egypte tentent d’œuvrer, mais la complexité de la situation est telle qu’une nouvelle trêve, voire un éventuel cessez-le-feu, sont incertains. L’an dernier, une pause de sept jours âprement négociée en vue d’un premier échange d’otages avait mis en lumière le rôle de médiateur du Qatar.
Cette monarchie du Golfe, qui abrite la branche politique du Hamas, a même réussi à supplanter, dans certains dossiers, le rôle de pays traditionnellement connus pour leur politique de bons offices, comme la Suisse. Le Qatar, nouvelle figure de la médiation internationale, se fait fort de parler avec le Hamas, l’Iran, les talibans et parfois la Russie.
Après le 11 septembre
Avec les attentats du 11 septembre 2001, l’environnement a radicalement changé, selon Pierre Hazan, invité de Géopolitis. Le terrorisme est propulsé en tête des priorités internationales. "On est dans une période qui est complètement transformée avec l'adoption de la résolution 1373 [par le Conseil de sécurité de l'ONU], quelques jours après les attentats du 11 septembre. Les Nations unies commencent à faire des listes. Les pays européens aussi et il y a un certain nombre d'organisations, de groupes armés qui deviennent totalement proscrits", explique ce spécialiste de la médiation.
Conseiller senior auprès du Centre pour le dialogue humanitaire basé à Genève, une des principales ONG spécialisées dans la médiation des conflits armés, Pierre Hazan souligne que "la question de la négociation avec des groupes armés se pose véritablement". En Afghanistan par exemple, il aura fallu attendre presque 10 ans après le début du conflit pour que soient lancées des discussions directes et secrètes entre talibans et Américains. Et encore 10 ans de plus pour arriver à la signature d’un accord le 29 février 2020, à Doha. "Si les Américains avaient ouvert un canal de discussion il y a une vingtaine d'années quand les talibans le demandaient, cela aurait peut-être épargné des vies", estime Pierre Hazan.
La "boussole morale" du médiateur
Auteur de plusieurs ouvrages sur la justice internationale, Pierre Hazan place les vertus du dialogue comme une priorité absolue: "Dans un monde aussi fracturé, où les Nations unies jouent un rôle marginal et où les défis sont globaux, il est essentiel que les processus de dialogue, de médiation continuent, car sinon on aura toujours plus de guerres."
La médiation est un travail discret, indispensable pour la bonne marche du monde et aux rouages complexes. "Trop souvent la guerre implique une déshumanisation. Il faut faire de l'autre en quelque sorte un ennemi radical, le diaboliser", déplore Pierre Hazan qui relève qu'"en même temps, il va falloir à un certain moment commencer à discuter, à dialoguer, à négocier. Et donc, il faudra bien négocier avec celui qu'on a considéré comme le diable."
Dans ces situations compliquées du point de vue éthique, le médiateur doit avoir une "boussole morale", estime Pierre Hazan et ne pas se laisser utiliser par un camp ou un autre. La nuance entre compromis et compromission est ténue, selon lui. En 1993, il fait partie d’une équipe humanitaire appelée à sélectionner un tiers des prisonniers d'un camp tenu par la milice croate en Bosnie. Qui libérer? Comment choisir? Une expérience marquante et qui sera à l’origine de son livre "Négocier avec le Diable, la médiation dans les conflits armés" (Ed. Textuel, 2022).
Trouver "la moins mauvaise des solutions"
"On est dans des situations parfois tragiques et où, effectivement, il est important de faire des choix, même si ce sont des choix terriblement compliqués, éthiquement discutables, pour essayer de trouver la moins mauvaise des solutions au nom de la survie d'un maximum d'êtres humains", raconte cet ancien journaliste. "J’ai abandonné le confort de l’éthique de conviction, ce luxe d’être cohérent avec soi-même", écrit-il dans son livre, pour assumer plutôt "une éthique de la responsabilité tournée vers l’efficacité qui encourage le compromis et le pragmatisme, selon les aléas de l’action et au nom de la finalité recherchée".
Comme le disait le président ukrainien Volodymyr Zelensky au début de l’agression russe, "seule la négociation diplomatique mettra fin à la guerre", et cela peut prendre des années. A Genève, les conférences sur l’ex-Yougoslavie se sont succédé pendant des années sans procéder à de grands avancements. Pour Pierre Hazan, le moment de la négociation arrive quand "il y a une sorte de réalisation des deux côtés que cela suffit, qu'il n'y aura pas de victoire militaire, que l'on a échoué, et quand cette prise de conscience intervient finalement des deux côtés".
Anne Delaite