En comparaison européenne, en France, le nombre d’enfants scolarisés dans le privé est assez élevé: 13% en pré-élémentaire et élémentaire (école maternelle et primaire), et 21% au collège et au lycée, explique mercredi Julien Grenet, directeur de recherche au CNRS, dans l'émission Tout un monde de la RTS.
"Cette moyenne nationale masque des disparités locales très importantes. Le privé est plus développé dans certaines régions pour des raisons historiques. Par exemple, en Bretagne, près de la moitié des élèves sont dans le privé. Plus récemment, il s’est très fortement développé dans les grandes agglomérations urbaines, (...) dans les dix plus grandes villes de France, il dépasse facilement 30, voire 40, parfois même 50%", affirme-t-il
Le déficit de la mixité sociale
Historiquement, la Bretagne est une région catholique, l’église y a longtemps assuré l’enseignement, ce qui explique que près de la moitié des élèves y sont scolarisés dans le privé. Cependant, "l'école privée en Bretagne est, d'un point de vue social, assez comparable à l'école publique. Il n'y a pas tellement de différences en termes de composition sociale. Ce qui n'est pas le cas du privé dans les grandes villes", souligne Julien Grenet.
Au niveau national, il y a eu une légère hausse des élèves dans le privé ces dernières années, mais ce qu’on note surtout dans ces établissements privés, c’est un recul de la mixité sociale. En 2000, 41% des élèves provenaient de familles favorisées et très favorisées, aujourd’hui ils représentent 54% des effectifs: " Vous êtes dans ce qu'on appelle une forme de ségrégation choisie. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le système scolaire français est ségrégué aux deux bouts de la structure sociale", affirme la sociologue Fabienne Federini
"On a, en bas de l'échelle, ce qu'on appelle l'éducation prioritaire, avec une concentration d'enfants issus de milieux populaires, c'est-à-dire ouvriers-employés, de plus de 60%".
Douze milliards d'euros de subventions
En France, l’enseignement privé est largement subventionné par l’Etat: 75% de ses dépenses sont financées par des fonds publics. En échange, ces écoles doivent respecter certaines obligations, comme enseigner le même cursus que dans le public et accepter des enfants de toutes les confessions. Cependant, en termes de mixité sociale, il n’y a pas de quotas à respecter.
Selon Julien Grenet, cette situation est unique à l’Hexagone. "Par exemple, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne" le privé bénéficie aussi de subventions, mais en contrepartie, "il n'est pas totalement maître de son recrutement, il doit obéir aux mêmes règles" que les écoles publiques, rappelle-t-il.
En bénéficiant, à la fois des subventions et de la liberté totale de choisir ses élèves, Julien Grenet estime que l’enseignement privé en France jouit du "beurre et de l'argent du beurre".
"Il est difficile de justifier un financement public qui s'élève aujourd'hui à douze milliards d'euros par an pour un enseignement dont on ne peut pas garantir qu'il y ait un accès équitable puisque les procédures de recrutement du privé sont assez opaques", déclare-t-il.
L’attrait de l’éducation privée
Grâce à ces subventions, le privé représente une véritable concurrence aux écoles publiques. D'autant plus que le prix de scolarisation en privé n'est pas très élevé, c'est de l'ordre de 200 euros par mois environ.
Toutes classes sociales confondues, de nombreux parents sont donc tentés d’inscrire leurs enfants dans le privé, le percevant comme une garantie de réussite ou un moyen d’ascension sociale. Fatia, d’origine magrébine, explique dans un podcast d'Arte radio "Y a deux écoles", pourquoi elle a choisi le privé pour ses deux enfants: " Je veux évoluer et avancer. Ma race ou ma couleur ne vont pas m'en empêcher. J'ai donc mis mes deux enfants dans le privé pour qu'ils soient bien encadrés".
Certaines parents choisissent le privé, car ils croient qu’il y aura une meilleure qualité d’enseignement, des méthodes plus innovantes, un meilleur encadrement et une ambiance plus apaisée, ou encore comme Pauline, de Paris, par tradition familiale: "On suit le processus classique: parents en privé, enfants en privé".
Pauline espère également un jour pouvoir inscrire sa fille Eléonore dans un collège ou un lycée de qualité. Selon elle, "à Paris, si tu ne mets pas ton enfant dès le début en privé, (...) pour le faire par la suite entrer dans des collèges ou des lycées de qualité, si ton enfant vient du public, c'est compliqué".
Entre convictions et pressions
Certains parents, par conviction, restent fidèles à l’école publique. Cependant, progressivement, ils observent un exode vers le privé, témoigne David, habitant de Montreuil, en région parisienne : "Le problème, c'est qu'au fur et à mesure l'école privée aspire les enfants", ce qui crée une pression sur les parents restants, s'inquiète-t-il.
"Donc on essaye d'en parler avec les autres parents et surtout, on va faire en sorte de se battre pour que l'école soit mieux dans nos quartiers", en demandant plus de ressources, comme la présence de psychologues ou d’infirmières scolaires qui devrait être assurée, mais ne l’est pas toujours, explique David. Car pour lui, la réussite doit être collective et malgré les préconceptions, il croit en la capacité des enfants à réussir dans le public. "Mais en fait, c'est un stress pour les parents et il est difficile de tenir face à cette pression à la réussite", conclut-il.
En ce qui concerne la qualité de l’enseignement, un récent rapport de la Cour des Comptes estime qu’il est impossible de déterminer, si à condition sociale égale, on est mieux loti dans le privé que dans le public. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), qui comprend des pays européens ainsi que d’autres comme les États-Unis, l’Australie et le Japon, parvient au même constat.
>> Lire aussi : La ministre de l'Education française au coeur d'une première crise pour le nouveau gouvernement
Sujet radio: Isabelle Cornaz
Adaptation web: Miroslav Mares
Amélie Oudéa-Castera révise sa position sur l’école publique
La ministre de l’Education nationale et des Sports, Amélie Oudéa-Castera, a défendu l’idée que l’école publique devrait être un “choix d’adhésion”. Elle est au cœur d’une polémique concernant la scolarisation de ses enfants dans un établissement privé, Stanislas à Paris.
Interrogée mercredi sur France 2, Amélie Oudéa-Castera a réitéré ses excuses et plaidé la bonne foi alors que sa justification sur les heures supplémentaires non remplacées avait été remise en cause. "Je me suis appuyée avec la plus totale sincérité sur un souvenir et une expérience de maman il y a 15 ans. Les statistiques du rectorat et la parole d'une enseignante me donnent tort. Dont acte".
Emmanuel Macron récuse tout "conflit" entre école privée et publique
Emmanuel Macron a récusé mardi tout "conflit" entre école privée et école publique en pleine polémique sur les propos de sa nouvelle ministre de l'Education.
"Moi, je suis un enfant des deux écoles, comme disent les grands auteurs. J'ai été à la laïque et à l'école privée sous contrat, j'y ai vu des professeurs engagés à qui je dois beaucoup. Donc, je pense qu'il n'y a pas de conflit entre les deux écoles à avoir", a déclaré le président lors d'une conférence de presse.
"La République est forte de tous ces systèmes. Ce qu'il faut, c'est engager tout le monde dans les mêmes exigences", mais "on ne juge pas les gens sur leurs choix individuels", a-t-il ajouté.