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"J'étais seule pour 120 requérants d'asile", témoigne une infirmière

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Annelise Bergmann-Zürcher, ex-infirmière dans un centre de requérants d’asile
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Annelise Bergmann-Zürcher, ex-infirmière dans un centre de requérants d’asile / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 15 min. / le 18 janvier 2024
Chargée d'établir le bilan de santé des migrants arrivant en Suisse, Annelise Bergmann témoigne dans La Matinale de jeudi du manque de moyens financiers auquel elle a été confrontée pendant ses onze années de service dans un centre d’enregistrement pour requérants d’asile à Vallorbe (VD).

"Depuis 2015 environ, j'ai vu des gens extrêmement malades, torturés, maltraités, traumatisés. De plus en plus les personnes arrivaient dans un très mauvais état en Suisse", raconte Annelise Bergmann, ex-infirmière. Alors qu'"il y a 15 ans, la population qui venait en Suisse était différente et les gens étaient relativement jeunes et en bonne santé".

C'est la loi, les migrants doivent être reçus par une infirmière à leur arrivée en Suisse. Mais, en raison de leur provenance et des conditions de leur voyage, ils arrivaient souvent avec des maladies auxquelles l'ex-soignante n'avait jamais été confrontée, comme des "pathologies tropicales". Elle dit avoir "appris à connaître la gale" et avoir vu beaucoup de cancers, de marques de maltraitance, des syndromes de stress post-traumatique et de blessures liées au voyage en mer et à la promiscuité (plaies et abcès).

Une infirmière pour 120 requérants d'asile

Annelise Bergmann a travaillé seule pendant plusieurs années et accueillait "jusqu'à 120 personnes dans le centre". Plus tard, elle sera accompagnée par seulement une ou deux autres personnes.

Du côté du matériel non plus, elle n'était pas suffisamment équipée, confie celle qui était en poste jusqu'à la crise du Covid. On avait une simple pharmacie de ménage à disposition, "avec de l'aspirine, du sirop pour la toux, des crèmes pour masser le dos et c'est tout", se souvient-elle.

En l'absence de médecin, son rôle était de faire le diagnostic complet des requérants et d'évaluer le niveau d'urgence de leur santé. "Si c'était une grande urgence, on appelait une ambulance. Quelquefois, l'alternative était de mettre la personne dans un taxi et de l'amener à l'hôpital ou alors, à nous d'évaluer si ça pouvait attendre. Dans ce cas, nous pouvions envoyer un chauffeur du centre avec un minibus pendant les jours ouvrables, mais il ne pouvait conduire que six à sept personnes dans un hôpital de la région."

Pression financière

L'ex-infirmière pointe du doigt les économies financières en personnel et en équipements du centre d'enregistrement pour requérants d'asile. C'est ce qui l'a "cramée" et l'a poussée à arrêter son travail, qu'elle trouvait pourtant si passionnant, pour sauver sa santé mentale. Elle a du "regret, du deuil" de ne pas avoir pu faire ce travail comme elle le voulait.

Elle raconte même avoir dû se rendre à la déchetterie pour offrir des jouets aux enfants du centre. "C'était le petit plus que je pouvais faire", note-t-elle.

Autre difficulté du métier, le manque de traducteur pour comprendre ce dont souffraient les patients. "Pendant les dernières années, il y avait un service de traduction par téléphone, mais ça manquait de spontanéité".

Retrouvailles entre une mère et ses filles

Heureusement, malgré les nombreuses difficultés rencontrées, Annelise Bergmann a aussi "souvent" connu de belles histoires. Entre les gens qui sont tombés amoureux et les naissances, l'ex-infirmière a permis à une mère afghane de retrouver ses filles.

Un jour de novembre, alors qu'elle recevait plus de 50 personnes par jour, l'invitée de la RTS a accueilli trois jeunes filles afghanes. "Elles étaient toutes habillées pareil, des soeurs. (...) L'une toussait énormément. Elles sont arrivées seules", se souvient la Suissesse. Leur mère leur avait noté le numéro de téléphone de leur tante à Genève pour qu'elles puissent y trouver refuge, ce qu'elles ont fini par faire, indique Annelise Bergmann.

Puis, un jour, alors qu'elle ne devait pas travailler, le centre a accueilli une mère afghane en pleurs, "avec son abaya noir". "Elle pleurait tellement que je me suis dit qu'elle allait mourir de chagrin", décrit l'ex-soignante. Elle l'a donc écoutée: "elle m'a dit 'j'ai perdu trois filles, je suis sûre qu'elles sont mortes, (...) mais je ne sais pas où elles peuvent être". L'ex-infirmière a ainsi compris qu'il s'agissait de la mère des trois filles qu'elle avait rencontrées plus tôt, ce qui a permis de réunir la famille.

"Ce sont ces histoires qui nous font tenir", résume Annelise Bergmann, qui a par la suite décidé d'écrire un livre pour témoigner et continuer sa mission.

Propos recueillis par: Pietro Bugnon

Adaptation web: Julie Marty

"Récit du bas seuil, parcours d'une infirmière" (éd. d'en bas)

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