Sur le terrain en Ukraine, rien n'indique que Russes et Ukrainiens puissent arriver à un accord, ni qu'ils souhaiteraient mener des négociations. Fin décembre, toutefois, le New York Times affirmait que le pouvoir russe serait prêt à entamer des discussions pour un cessez-le-feu, qu'il donnerait des signaux en ce sens en coulisses, selon des sources russes et américaines.
Mais le grand quotidien américain reconnaît aussi qu'il est difficile de sonder les intentions de Vladimir Poutine. Ce dernier n'aurait-il pas intérêt à attendre une possible réélection de Donald Trump? Est-ce que le président russe pourrait se contenter d'un conflit gelé, de l'occupation de facto des terres qu'il a conquises, mais sans exiger un départ du président ukrainien Volodymyr Zelensky?
La Suisse est prête à organiser une conférence sur le processus de paix en Ukraine
Objectif inchangé pour Moscou
Interrogée dans Tout un monde, la politologue russe Tatiana Stanovaya ne croit pas à la volonté du Kremlin d'entamer de véritables pourparlers. Selon elle, les objectifs de départ n'ont pas changé: le Kremlin veut toujours un changement de régime à la tête de l'Ukraine.
"La paix pour Vladimir Poutine, cela signifie la capitulation de l'Ukraine. Pourquoi, ces derniers mois en particulier, les responsables russes ont-ils été si actifs à promouvoir l'idée de négociations, d'un agenda de paix? C'est purement tactique. Pour faire en sorte que l'Ukraine mette fin à sa résistance militaire", détaille la fondatrice du cabinet d'analyse politique R.Politik, basé à Paris.
Selon elle, les déclarations en direction de l'Occident ont aussi pour objectif de jouer le jeu de celles et ceux qui estiment qu'il ne faut pas soutenir l'Ukraine, ni lui donner des armes, et que cela ne sert à rien de poursuivre le bain de sang.
"Si nous entrons dans un processus de négociations, ceux qui disent qu'il faut augmenter la production d'armes pour aider l'Ukraine auront beaucoup plus de peine à faire entendre leurs arguments", estime-t-elle.
"Mettre l'Ukraine devant ses contradictions"
Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou, interprète de manière similaire le fait que Moscou se dise ouverte à des pourparlers. "C'est surtout un moyen de mettre Volodymyr Zelensky face à ses contradictions, puisqu'il répète qu'il ne négociera jamais avec Poutine. C'est se donner le beau rôle à bon compte finalement. Les Russes savent qu'en l'état actuel des choses, les Ukrainiens ne veulent pas négocier et eux-mêmes ne sont pas dans cette perspective-là."
Mais cette rhétorique doit mettre en évidence la "fermeture" de la position ukrainienne, surtout en direction des opinions publiques et du "Sud global", décrypte Arnaud Dubien.
Pour Tatiana Stanovaya, l'objectif de la Russie n'est pas de faire la paix, mais éventuellement de décréter un cessez-le-feu pour des raisons tactiques et de miser ensuite sur la désunion des Ukrainiens.
La seule chose qui était inacceptable pour la société russe, c'est la défaite
"Moscou compte sur le fait que l'Ukraine serait entraînée et embourbée dans un débat long et douloureux sur l'avenir du pays, ce qui permettrait à Moscou de gagner du temps, pour que peu à peu les conditions se développent en Ukraine pour qu'émerge un parti de la 'paix', comme l'appelle Moscou, c'est-à-dire prêt à accepter les conditions de la capitulation", analyse l'experte.
Contrairement à la situation de Volodymyr Zelensky, il est beaucoup plus simple pour Vladimir Poutine, dans une Russie non-démocratique, de faire passer n'importe quelle solution de statu quo comme une victoire auprès de sa population.
"La seule chose qui était inacceptable pour la société russe - qui soutient l'opération militaire à des degrés divers et sans enthousiasme particulier -, c'est la défaite. Mais tout le monde a compris, je pense, qu'il n'y aurait pas de défaite russe. En revanche, le périmètre de la victoire est assez flou", soutient Arnaud Dubien.
Un message à l'Occident
Volodymyr Zelensky n'est pas prêt à parler avec Vladimir Poutine, mais l'inverse est vrai aussi. Le président russe ne considère pas l'Ukraine comme un acteur à part entière, autonome, mais comme un pion dans le jeu des grandes puissances. Les demandes du président russe s'adressent donc à l'Occident.
"Les messages de paix que le président russe envoie, c'est: 'Cessez de vous battre contre nous'. Concrètement, cela veut dire 'Cessez de soutenir politiquement et militairement l'Ukraine'. La question de savoir si les territoires qu'il a conquis en Ukraine sont suffisants à ses yeux, c'est très secondaire. Ça lui est égal de savoir par où passe la frontière tant qu'il y a un changement de régime, tant qu'un leader pro-russe prend le pouvoir à Kiev", développe Tatiana Stanovaya.
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La Russie se prépare à une guerre longue, avec une économie qui se réoriente dans cette direction: un budget militaire qui prend l'ascenseur, des modifications de la loi sur la mobilisation, mais aussi dans l'esprit des Russes, chez qui la propagande de la normalisation de la guerre commence à faire effet. Le sociologue Grigory Yudin parle de "guerre éternelle" dans l'esprit du régime de Vladimir Poutine.
"Attirer l'attention sur la position ukrainienne"
Côté ukrainien, quelle est la volonté de négocier? Volodymyr Zelensky a précisé que le sommet mondial sur la paix, que la Suisse s'est dit prête à organiser, ne devrait pas se faire en présence de la Russie. De même, Moscou n'a pas été conviée aux quatre réunions de paix organisées par Kiev ces derniers mois, des discussions qui ont eu lieu à Copenhague, à Malte, aux Emirats arabes unis et à Davos.
Le politologue Volodymyr Fesenko précise que lors de ces quatre réunions, l'Ukraine a présenté ses solutions de paix, mais qu'il ne s'agit pas de négociations en tant que telles. " Il s'agit plutôt d'attirer l'attention sur la position ukrainienne, sur les conditions dans lesquelles, selon nous, il convient de mettre fin à la guerre", explique-t-il dans Tout un monde.
Le but de ces rencontres est de rallier le plus d'Etats possibles pour discuter et soutenir un plan de paix, notamment des pays du Sud global, qui pour certains se montrent conciliants envers la Russie. Le sommet mondial sur la paix devrait se dérouler un peu sur le même modèle, estime Volodymyr Fessenko, mais non pas avec des conseillers politiques, mais directement les leaders des pays.
En ne reconnaissant pas l'annexion des territoires, nous conservons le droit de lutter pour reprendre leur contrôle
Pour les Ukrainiens, des négociations directes avec Moscou ne semblent pas envisageables. A plus long terme, le seul compromis éventuel serait, pour le gouvernement, de négocier un cessez-le-feu, mais plutôt sous la forme d'une longue trêve, sans véritable accord, et sans reconnaître l'annexion des territoires par la Russie, note Volodymyr Fesenko.
"En ne reconnaissant pas l'annexion des territoires, nous conservons le droit, à l'avenir, de lutter pour reprendre le contrôle sur ces terres. L'arrêt des combats, c'est aussi la possibilité de redresser le potentiel économique et militaire du pays", ajoute le politologue ukrainien.
Augmentation des partisans pour la paix
Plus des deux tiers de la population ukrainienne souhaitent la libération de tous les territoires occupés. Néanmoins, le pourcentage de personnes qui soutiennent l'idée de négociations et qui acceptent l'idée d'un gel du conflit a augmenté. Fin 2023, elle représentait 30% de la population, contre 5 à 10 % un an et demi plus tôt, précise Volodymyr Fesenko.
Ces réunions pour la paix ont du sens pour les Ukrainiens si cela s'accompagne d'un vrai soutien militaire, afin d'éviter un scénario de la capitulation, la fameuse paix au regard de Moscou.
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Sujet radio: Isabelle Cornaz
Adaptation web: Jérémie Favre