Lai Ching-Te, encore connu sous le nom de William Lai, est le nouveau président de Taïwan. Son parti, le Parti démocrate progressiste, vient de remporter une troisième victoire de suite. Après une période de transition, cette bête noire de Pékin prendra ses fonctions le 20 mai.
C’est donc une forme de continuité qui s’amorce sur l’île: "Lai Ching-Te défend essentiellement le statu quo. Il ne veut évidemment pas que Taïwan soit avalée par la République populaire de Chine, mais il ne va pas non plus déclarer l’indépendance, qui serait une frontière à ne pas franchir pour Pékin", estime Valérie Niquet, spécialiste de l'Asie à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, dans Géopolitis.
Reste que le parti de centre-gauche a perdu sa majorité parlementaire. Ses rivaux, le Kuomintang (KMT) et le Parti populaire taïwanais (TPP) - tous deux réputés plus complaisants avec Pékin - ont obtenu de bons résultats. Lai Ching-Te devra donc composer avec une opposition qui ne va pas lui faciliter la tâche et avec des pressions de Pékin qui risquent fort de se perpétuer.
L’histoire de Taïwan face à la Chine
La question taïwanaise date de la guerre civile chinoise: les troupes communistes de Mao Tsé-Toung et les forces nationalistes de Tchang Kaï-chek se disputent le contrôle du territoire. Face à la déroute de leurs forces à la fin des années 40, les nationalistes fuient. Les troupes de Tchang Kai-chek se réfugient à Taïwan, où est transféré le gouvernement de la République de Chine, par opposition à la République populaire de Chine. Depuis, chacun des dirigeants communistes a promis de récupérer ce territoire. La "réunification" de Taïwan avec le reste de la Chine est "inévitable historiquement", a ainsi déclaré le président chinois Xi Jinping lors de son discours du Nouvel An.
Taïwan est une démocratie extrêmement vivace, très fonctionnelle. C’est l’une des plus en pointe en Asie
Pourtant, "Taïwan n'a jamais véritablement fait partie de la Chine et encore moins de la République populaire de Chine", souligne Valérie Niquet, avant d’ajouter que "Taïwan est une démocratie, c'est la principale différence avec le régime politique qui existe sur le continent. Cette démocratie est extrêmement vivace, très fonctionnelle. C’est l’une des plus en pointe en Asie, même en comparaison avec d'autres pays comme le Japon, la Corée du Sud, sans parler de Singapour qui est beaucoup plus autoritaire. Donc l'identité taïwanaise tourne aussi autour du régime politique démocratique."
Une identité taïwanaise qui se renforce
Cet attachement à la démocratie est fortement influencé par la situation à Hong Kong depuis 2020. La Chine a alors imposé une politique de répression très sévère à ce territoire. Une démarche qui montre que le principe "un pays, deux systèmes", que Pékin propose également à Taïwan, n’offre aucune garantie. Le Kuomintang, plutôt pro-Pékin, a d’ailleurs évolué d’une posture favorable à l’unification à une relation de bon voisinage avec la Chine.
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Au fil du temps, l’identité taïwanaise se renforce: si plus de 90% des habitants de l’île sont des descendants de Chinois qui y ont migré ces derniers siècles, plus de 62% s’identifient aujourd’hui uniquement comme taïwanais, contre 17% en 1992, et 30,5% se voient comme taïwanais et chinois, contre 46% il y a trois décennies, selon le suivi de l’Université nationale Chengchi.
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Taïwan, un avant-poste géostratégique
Les motivations de Pékin ne sont pas seulement historiques et politiques, elles sont aussi géopolitiques. Un exemple: si la Chine contrôlait Taïwan, elle aurait enfin un accès direct à l’océan Pacifique. En effet, ses côtes sont entourées de mers peu profondes et elle est séparée des eaux profondes par une chaîne d’îles (Corée du Sud, Japon, Taïwan, Philippines). Quatre pays qui accueillent des bases ou troupes américaines, l'un des nombreux remparts militaires mis en place par les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
Une seconde chaîne est formée des îles Mariannes du Nord (où est installée l’importante base navale américaine de Guam), des Palaos (anciennement administrés par les Etats-Unis) et de l’archipel japonais des îles d’Ogasawara.
Or l’accès aux eaux profondes est indispensable pour que la marine militaire chinoise, et particulièrement les sous-marins, puissent se déplacer sans être repérés ou gênés. Si Taïwan devenait un territoire de la République populaire de Chine, les sous-marins chinois auraient un accès direct à des eaux de 1300 mètres de profondeur et pourraient se diluer rapidement dans le Pacifique. Pékin pourrait projeter sa puissance militaire et peser face aux Etats-Unis dans la région indo-pacifique.
Les États-Unis freinent en quelque sorte la capacité de la Chine d'imposer sa volonté sur l'ensemble de la région
Mais Valérie Niquet, auteure du livre "Taïwan face à la Chine" (Ed. Tallandier, 2022), constate que "l'ensemble des pays d'Asie souhaitent une forte présence américaine", surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013. "Avant, la Chine était plutôt perçue comme une opportunité partout en Asie, mais avec cette stratégie de plus en plus nationaliste et agressive de la part de Pékin, les pays de la région veulent de plus en plus d'Amérique et donc cela crée évidemment un problème avec les Chinois, puisque les États-Unis freinent en quelque sorte la capacité de la Chine d'imposer sa volonté sur l'ensemble de la région."
La guerre serait donc inéluctable? Pas si sûr: l’économie chinoise est fragilisée et très dépendante de l’extérieur. Des sanctions seraient ravageuses. "Que la Chine envahisse Taïwan me paraît tout à fait improbable", conclut Valérie Niquet.
Natalie Bougeard