Dans l'appartement familial, entouré de ses chats, Sofia Orr raconte pourquoi elle a décidé de devenir une objectrice de conscience, un choix mûrement réfléchi depuis son adolescence.
"J'ai décidé de refuser de servir dans l'armée israélienne, car je ne veux pas prendre part à la politique d'oppression et d'apartheid qu'Israël applique aux Palestiniens. J'ai pris cette décision avant la guerre, car l'oppression n'a pas commencé le 7 ou le 8 octobre, ce n'est pas quelque chose de récent, cela fait des décennies que cela dure. Les attaques du 7 octobre et la guerre à Gaza prouvent juste que la violence engendre de la violence et que la violence ne mène jamais à une solution", confie-t-elle mardi dans l'émission Tout un monde.
Sofia a grandi dans une famille politiquement ancrée à gauche, anti-sioniste mais pas militante. Ses parents la soutiennent dans son choix, un choix difficile à assumer dans une société où le service militaire est au cœur du système.
Accusée de trahison
"Depuis notre plus jeune âge, on nous dit qu'il faut honorer les soldats, on nous apprend à quel point c'est un honneur de servir dans l'armée. Ce n'est pas facile de s'opposer à cela… On m'accuse de trahison, on me traite de juive qui déteste les juifs, je reçois des menaces violentes", poursuit-elle.
Il ne s’agit pas d’un jeu où l’un doit triompher de l’autre. La paix est l’unique solution pour que tout le monde puisse vivre en sécurité
L'armée israélienne accepte rarement les refus d'enrôlement pour des motifs politiques ou pacifistes. Si beaucoup d'Israéliens sont exemptés de service militaire pour des raisons religieuses ou médicales, refuser de servir publiquement reste extrêmement rare. Et depuis les attaques du Hamas, la société israélienne jette un regard particulièrement désapprobateur sur ceux qui font ce choix.
"Dans ce pays, surtout ces derniers temps, il y a cette mentalité du "eux" et "nous". Et à partir du moment où je montre de l'empathie envers eux, envers les Palestiniens, alors je passe de l'autre côté, je ne peux plus faire partie du nous, des Israéliens, et donc je deviens une traîtresse. Mais il ne s'agit pas d'un jeu où l'un doit triompher de l'autre. La paix est l'unique solution pour que tout le monde puisse vivre en sécurité".
Une probable peine de prison
Sofia en est persuadée: il faut réussir à dépasser ce clivage. Elle parle souvent de ce sujet avec ses amis. Certains sont d'accord avec elle, d'autres la trouvent naïve et ingrate. "Naïve de penser qu'on pourra un jour faire la paix avec les Palestiniens, qu'on peut discuter avec eux, qu'un jour cela marchera. Et ingrate car on me dit que je suis adulte, que tous mes amis font leur service militaire, qu'ils vont protéger le pays, qu'ils vont me protéger."
On ne peut pas éradiquer le Hamas avec une offensive militaire
Depuis quelques semaines, la jeune femme enchaîne les interviews pour tenter de faire entendre sa voix. "On ne peut pas éradiquer le Hamas avec une offensive militaire. Même si l'armée israélienne arrive à détruire le Hamas en termes de tunnels détruits et de combattant tués, peu importe, puisque pour chaque membre tué, trois autres vont le devenir. C'est une idéologie et c'est une idéologie qui se renforce quand elle fait face à une violence extrême… C'est pourquoi, il est aussi important pour moi de m'éloigner de ce qu'Israël fait pour essayer de faire changer les choses."
En refusant de servir, Sofia sait qu'elle va écoper d'un mois de détention, une peine sans doute renouvelée jusqu'à trois fois avant d'être réformée pour mauvais comportement. Mais la jeune femme est sereine, la prison ne lui fait pas peur, dit-elle, si c'est pour être en accord avec ses convictions.
Charlotte Derouin/hkr