Revenons quelques mois en arrière, à l'origine de la polémique. En novembre dernier, une réunion se tient en toute discrétion dans un hôtel à Potsdam, tout près de Berlin.
Autour d'une même table, des membres de l'AfD, des membres de groupuscules néonazis, et même deux représentants de l'aile droite de la CDU - principale force de centre-droit en Allemagne - se retrouvent pour discuter.
La rencontre, rapportée le 15 janvier par le média d'investigation Correctiv, fait l'effet d'une véritable bombe dans une Allemagne où la mémoire collective reste marquée par l'Holocauste.
Projet de "remigration"
Ce jour-là, les discussions se concentrent autour d'un vaste projet de "remigration", soit un plan pour renvoyer vers l'Afrique du Nord jusqu'à deux millions de personnes - demandeurs d'asile, étrangers et citoyens allemands "pas assimilés", rapporte Correctiv.
Il n'en fallait pas plus pour secouer l'Allemagne. Un peu partout dans le pays, des manifestations d'une ampleur inattendue ont essaimé le week-end du 20 et 21 janvier.
Sur l'esplanade du Reichstag à Berlin, ils ont été 100'000 à se réunir dimanche soir, selon la police (350'000 selon les organisateurs). A Munich 100'000, à Brême 45'000, à Cologne 50'000, toujours selon les chiffres officiels. Au total, une centaine de manifestations sont organisées.
Interdire l'AfD?
L'onde de choc a relancé les débats sur l'interdiction de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti créé il y a 11 ans, et jusqu'ici en plein essor.
En début d'année, ce dernier était crédité de 22% des intentions de vote au niveau national, et jusqu'à 37% dans certaines régions de l'est de l'Allemagne, comme en Saxe.
Mais est-il vraiment envisageable de rayer une force politique aussi importante? "C'est extrêmement compliqué", estime Uwe Jun, politologue à l'Université de Trèves, qui s'exprimait dans l'émission Tout un monde.
Une deuxième option serait d'écarter les membres les plus radicaux du parti, comme Björn Höcke, figure de l'aile radicale. Une mesure qui, là aussi, s'avérerait inefficace car "les électeurs de l'AfD votent rarement pour une personne en particulier", précise le professeur.
Pourtant, cette indignation populaire pourrait bien ne pas freiner l'engouement pour l'AfD aux prochaines élections, prédit Philip Oltermann, chef du bureau berlinois pour The Guardian. Les rassemblements géants de la semaine dernière ont certes "galvanisé" une majorité des participants, mais ces derniers "ne votaient de toute manière pas pour l'AfD", note le journaliste.
Et les chiffres lui donnent raison. Le parti arrive toujours en tête avec plus de 30% dans les trois Länder de Thuringe, Saxe et Brandebourg, ses bastions de l'est de l'Allemagne où se tiennent en septembre des élections régionales.
Au niveau national, le soutien à la formation d'extrême droite a tout de même légèrement baissé. Il a chuté de 2 points de pourcentage pour atteindre 20%, son niveau le plus bas depuis quatre mois, selon un sondage Forsa publié mardi. Le parti reste toutefois en deuxième position, derrière les conservateurs (31%) et loin devant les alliés de la coalition d'Olaf Scholz.
Une radicalisation payante
Le contexte actuel de grogne dans le pays pourrait également jouer en sa faveur. La parti a profité ces derniers mois de l'insécurité de la population résultant d'un nouvel afflux de migrants et des querelles permanentes entre les trois partis de la coalition gouvernementale. Le tout sur fond d'inflation élevée.
Fondé comme une formation eurosceptique, l'AfD avait quasiment disparu, explique la journaliste Nathalie Versieux pour Tout un monde. C'est seulement en s'emparant de la question migratoire - après ce qui a été appelé "l'ouverture des frontières aux migrants syriens" - qu'il a pu revenir sur le devant de la course. En août dernier, le parti - crédité de 19 à 22% dans les enquêtes d'opinions - dépassait déjà le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier Olaf Scholz.
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Alice Weidel, codirigeante de l'AfD, déclarait alors: "Je dis très clairement que notre parti, qui est maintenant la deuxième force politique nationale du pays" dans les sondages, "doit avoir l'ambition de diriger".
Cette semaine, dans les colonnes du Financial Times, la cheffe de parti assure que l'AfD accédera inévitablement au gouvernement, mais pas avant 2029. Premières mesures annoncées: des contrôles aux frontières efficaces et l'expulsion des étrangers criminels.
La formation d'extrême droite envisage aussi d'organiser un référendum sur une sortie de l'Allemagne de l'UE, un "Dexit", si elle parvenait au pouvoir, a annoncé Alice Weidel lundi.
Doreen Enssle avec agences