Près de deux ans après l'invasion russe en Ukraine, de nombreux Etats renforcent leurs capacités militaires. Les discours se renforcent également: plusieurs dirigeants au sein de l'Otan n'hésitent pas à brandir la menace d'une escalade majeure au cœur de l'Europe ces prochaines années.
D'autant plus que l'aide militaire des Etats-Unis n'est plus garantie si Donald Trump est réélu. Le candidat républicain a fait passer le message suivant aux membres européens de l'Otan en cas d'attaque russe et s'il est de retour à la Maison Blanche: "Non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à vous faire ce qu'ils veulent. Vous devez payer vos dettes."
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"Cette réaction montre une méconnaissance profonde de la relation transatlantique, car elle est dans l'intérêt à la fois des Etats-Unis et des Européens. Elle est également très problématique, car elle donne une vision transactionnelle de cette alliance, comme si c'était une sorte de système de racket organisé", analyse Camille Grand, expert européen en matière de politique de défense et de sécurité et anciennement secrétaire adjoint de l'Otan, dimanche dans le 19h30.
Vers un réarmement européen
L'Otan fait face à une menace existentielle sans précédent depuis sa création en 1949. Depuis la fin de la Guerre froide, les pays de l'alliance atlantique n'ont pas arrêté de baisser la part de leur produit intérieur brut allouée à la défense intérieure, alors qu'elle augmentait en Chine et en Russie.
La guerre en Ukraine a ainsi montré autant le soutien des pays européens à Kiev que leurs limites en termes de défense. Depuis le début du conflit, les Etats-Unis financent en effet près de la moitié de l’aide en armement à l’Ukraine, palliant le peu de stock disponible des Européens.
Si Donald Trump est réélu, ce soutien militaire risque de s'arrêter. Face à cela, de nombreux pays se préparent à plus d’autonomie. La Pologne, par exemple, veut doubler le nombre de ses soldats professionnels et prévoit de consacrer 112 milliards d’euros à son armée dans les années à venir.
Tester la solidité de l'Otan
L'Otan organise en ce moment un exercice géant avec 90'000 hommes. En parallèle, certains dirigeants allemands et nordiques s'alarment d'une possible extension de la guerre en Europe avant la fin de la décennie.
"Vladimir Poutine va sans doute être tenté de tester la solidité de l'Otan et des liens entre ses alliés, en particulier si Donald Trump est réélu", explique Camille Grand. Selon lui, le président russe peut utiliser des techniques qui relèvent de la guerre hybride, en manipulant des élections par des attaques cybers. "Ou alors, il peut réaliser des tests plus militaires, dans l'espace aérien, maritime ou terrestre", précise l'expert.
"Les renforts de l'Otan cherchent à prévenir les conséquences d'une telle attaque en envoyant le message clair à Vladimir Poutine qu'ils sont prêts à toutes les hypothèses, mêmes armées", ajoute-t-il. Selon lui, cela suppose également qu'il faille une présence plus robuste sur la partie orientale de l'Europe.
Et si les Etats-Unis se retirent?
Dans le cas de la réélection de Donald Trump et du retrait des aides militaires américaines, Camille Grand estime que l'Europe a tout de même les moyens de s'en sortir, mais qu'elle doit redoubler d'effort de défense.
"Les Européens dépensent 100 milliards d'euros par an de plus qu'il y a quelques années pour leur défense", explique-t-il. "Mais tout le monde n'est pas encore aux 2% de PIB alloué à la défense intérieure. Le chiffre est d'ailleurs assez bas, par rapport à la Guerre froide où cela montait entre 3% et 4%. Donc, l'effort actuel demandé aux alliés est assez raisonnable."
Par ailleurs, la Russie, bien que puissante, n'est pas équivalente en termes de forces par rapport à l'Europe, selon l'expert. "La Russie n'est pas le pacte de Varsovie. Son PIB représente un huitième de celui de l'UE et ses dépenses militaires représentent un tiers des dépenses européennes. Néanmoins, il faut avoir les moyens d'agir rapidement et avec force si c'est nécessaire, face à toute tentative de tester la solidité de l'alliance de l'Otan", conclut Camille Grand.
Interview TV: Gabriel De Weck
Adaptation web: Raphaël Dubois