Dans son rapport remis mardi au Premier ministre François
Fillon, le Conseil d'Etat écarte de fait une interdiction "générale
et absolue" du voile intégral, jugeant qu'elle "ne pourrait trouver
aucun fondement juridique incontestable".
Mais il estime que l'obligation de maintenir le visage à découvert
peut être justifiée, "soit dans certains lieux, soit pour effectuer
certaines démarches", par des motifs de "sécurité publique et lutte
contre la fraude, renforcées par les exigences propres à certains
services publics".
Le Premier ministre avait demandé fin janvier au Conseil d'Etat de
proposer des "solutions juridiques" pour permettre au gouvernement
de déposer un projet de loi prévoyant une "interdiction du voile
intégral la plus large et la plus effective possible".
Moins de 2000 femmes
L'avis rendu mardi laisse une marge de manoeuvre aux élus. Il ne
précise pas si la prohibition de la burqa peut être justifiée dans
les transports, commerces et lieux privés de sociabilité ouverts au
public. Les choses devraient désormais aller vite alors que le
débat sur ce phénomène, qui concerne moins de 2000 musulmanes,
agite la France depuis plus de six mois.
Le chef du gouvernement a appelé lundi les députés du parti
présidentiel UMP (majorité) à légiférer "dans les prochaines
semaines". Selon le ministre des Relations avec le Parlement, Henri
de Raincourt, l'examen des textes doit commencer dès avril.
Sur le fond, le Premier ministre va proposer aux parlementaires
d'affirmer "haut et fort les grands principes qui régissent (la)
République" et d'aller "le plus loin possible sur la voie d'une
interdiction générale du voile intégral, dans le respect des
principes généraux du droit".
Application en deux temps
Sur la forme, le calendrier se déroulera en deux étapes, a
précisé Henri de Raincourt à la radio Europe 1. Le gouvernement
entend d'abord faire adopter une résolution parlementaire,
solennelle mais non contraignante, fixant les principes selon
lesquels "le port du voile intégral en France n'est pas le
bienvenu".
Puis proposer le projet de loi, à proprement parler, "qui
déclinera les mesures qu'il faut prendre pour atteindre" cet
objectif général, a expliqué le ministre. Ce schéma en deux temps
suit les recommandations d'une mission parlementaire, qui avait
prôné le bannissement du voile intégral dans les seuls services
publics.
Quelques jours après la débâcle de son camp aux élections
régionales qui a entraîné un ajustement à droite de la politique
présidentielle, le chef de l'Etat Nicolas Sarkozy a répété que le
voile intégral était "contraire à la dignité de la femme". La
réponse à apporter est "l'interdiction".
Un sujet sensible
Le sujet, soulevé à l'origine par un député communiste, est
sensible dans un pays qui abrite la plus grande communauté
musulmane d'Europe avec 5 à 6 millions de membres et divise au sein
des partis.
Au sein du parti présidentiel, une partie des députés, dont leur
patron Jean-François Copé, ont souhaité une interdiction totale y
compris dans la rue. Le président de l'Assemblée nationale Bernard
Accoyer s'est prononcé pour une "démarche plus consensuelle".
Dans l'opposition, le Parti socialiste a dit officiellement qu'il
n'était "pas favorable" à une loi. Mais s'il s'agit d'un texte qui
empêche "le port du voile dans des lieux publics et dans l'accès
aux services publics, nous pouvons regarder", a nuancé son ancien
chef François Hollande.
Selon les traditions, le voile intégral prend la forme de la burqa
qui dissimule le visage par un grillage ou du niqab qui laisse une
fente pour les yeux.
ats/sbo
La situation dans d'autres pays d'Europe
L'interdiction du voile islamique intégral est à l'étude dans certains pays européens, comme la France, la Belgique ou les Pays-Bas. Voici la situation dans plusieurs pays:
- Au Danemark, le gouvernement a décidé en janvier 2010 de limiter le port de la burqa et du niqab dans l'espace public, mais sans interdire ce voile intégral, laissant le soin aux écoles, à l'administration et aux entreprises de fixer des règles à ce sujet.
- En Belgique, de nombreuses communes interdisent le voile intégral dans les lieux publics par le biais de règlements municipaux ou de police proscrivant le port de masques dans la rue, "hors période de carnaval". Le Parlement fédéral doit débattre à partir de mercredi de propositions visant à interdire le port du niqab et de la burqa.
- Aux Pays-Bas, plusieurs projets de loi concernant l'interdiction du port du voile intégral sont en préparation, notamment dans l'enseignement et la fonction publique.
- En Italie, une loi de 1975, faisant partie des "dispositions de protection de l'ordre public", interdit de se couvrir complètement le visage dans les lieux publics (voile, casque de moto). C'est à cette loi que font référence les quelques maires de la Ligue du Nord qui ont interdit par arrêté, localement, le port du voile intégral ou du "burkini" (maillot de bain islamique). Ce parti connu pour ses positions anti-immigrés a déposé en octobre 2009 un projet de loi prévoyant jusqu'à deux ans de prison et 2000 euros d'amende pour ceux qui "en raison de leur propre appartenance religieuse rendent difficile ou impossible l'identification".
- En Suisse, le port de la burqa fait également débat. En février dernier, le Conseil fédéral s'est dit opposé à une interdiction. Le voile intégral, qui ne concerne qu'une centaine de femmes dans le pays, peut être perçu comme un obstacle à leur intégration, mais également comme un moyen pour ces femmes d'accéder à l'espace public et de ne pas rester cloîtrées à domicile.
- Au Royaume-Uni, aucune loi n'interdit le port du voile intégral dans le pays réputé très attaché à la liberté d'expression des convictions religieuses. Un parti anti-européen fait cependant campagne pour son bannissement et le ministère de l'Education a publié en 2007 des directives permettant aux directeurs d'établissements publics et écoles confessionnelles d'interdire le niqab, après plusieurs procès médiatisés.
- En Autriche, le débat a été ouvert récemment par la ministre sociale-démocrate des Femmes, Gabriele Heinisch-Hosek, qui réfléchit à l'interdiction du voile intégral dans les lieux publics si le nombre des femmes voilées de la tête aux pieds devait augmenter sensiblement.