Après un mois de manifestations pacifiques et de montée
progressive de la tension, Bangkok a plongé dans le chaos lorsque
les forces de l'ordre -essentiellement les militaires- et les
"chemises rouges" se sont affrontés pour le contrôle d'un quartier
de la vieille ville.
C'est la première
opération musclée des autorités depuis l'instauration mercredi de
l'état d'urgence. C'est aussi le plus lourd bilan dans des
manifestations en Thaïlande depuis celles de 1992, qui avaient fait
des dizaines de morts.
Les heurts ont commencé en début d'après-midi et se sont
progressivement intensifiés, les forces de l'ordre faisant usage de
grenades lacrymogènes et de canons à eau avant que ne résonne le
crépitement des armes à feu. Au moins dix-neuf personnes ont été
tuées et 825 blessées, ont indiqué les services de secours.
Parmi les quinze victimes figure le caméraman japonais Hiro
Muramoto. Il a reçu une balle dans la poitrine et a été transféré à
l'hôpital Klang, où son décès a été constaté, a annoncé le
directeur de l'hôpital, le docteur Pichaya Nakwatchara.
Les "rouges", partisans de l'ex-premier ministre en exil Thaksin
Shinawatra, réclament des élections législatives anticipées et
considèrent Abhisit, au pouvoir depuis décembre 2008, comme
totalement illégitime.
Appel au roi
"Je veux condamner ce gouvernement car ils ont utilisé des armes
de guerre pour tuer des Thaïlandais qui voulaient la démocratie", a
déclaré Weng Tojirakarn, un des leaders "rouges", devant les
manifestants à Ratchaprasong. Jatuporn Prompan, un autre leader, a
pour sa part implicitement demandé l'intervention du roi Bhumibol,
une personnalité immensément révérée dans le pays.
"Quelqu'un va-t-il informer le roi que
ses enfants ont été tués au milieu de la route sans justice?",
a-t-il proclamé. Le plus ancien monarque en exercice, âgé de 82
ans, est hospitalisé depuis septembre et n'est pas intervenu dans
cette crise.
Abhisit, jusqu'à présent soutenu par l'armée, a pour sa part
refusé de démissionner. "Moi et mon gouvernement continuerons de
travailler pour résoudre la situation", a déclaré le Premier
ministre. L'opération militaire a tourné au fiasco lorsqu'il est
devenu évident que les manifestants ne baissaient pas les bras et
reprenaient régulièrement du terrain sur les forces de l'ordre. A
21h00 locales, l'armée a décidé de battre en retraite et d'appeler
à une trêve pour éviter un drame plus important encore.
"Les soldats vont devoir se retirer, il n'y a aucun endroit pour
se protéger. On ne peut rien faire", a admis le général Anupong
Paojinda, chef de l'armée. Une autre opération avait été
originellement planifiée dans le quartier commercial et touristique
de Ratchaprasong, plus à l'est, occupé depuis huit jours. Elle a
été annulée.
Corps hissés
Dans la vieille ville, les "rouges" ont hissé les corps de deux
victimes pour les montrer à la foule. Quelques mares de sang
témoignaient de la violence des heurts, devant des visages en
larmes, sous le choc. "Les 'chemises rouges' ont gagné ce soir mais
la bataille n'est pas terminée tant qu'Abhisit n'est pas parti", a
affirmé Santisuk Phuprasat, 42 ans, un enseignant de la banlieue de
Bangkok.
Plusieurs autres manifestations se sont déroulées en province,
dont une à Chiang Mai, principale ville du nord, d'où Thaksin est
originaire. L'homme d'affaires, véritable icône des "chemises
rouges," a été renversé en 2006 par un coup d'Etat militaire. Il
vit depuis près de deux ans en exil à l'étranger.
agences/mej
Washington appelle au calme
La Maison Blanche a appelé samedi à la retenue en Thaïlande, où se sont déroulés des affrontements violents entre militaires et manifestants anti-gouvernementaux.
"La Maison Blanche suit de près la situation en Thaïlande et presse tant les manifestants que les forces de sécurité de faire preuve de retenue", a déclaré le porte-parole du Conseil de la sécurité nationale, Mike Hammer.
"Nous déplorons cette explosion de violence en Thaïlande, notre amie et alliée de longue date, et demandons des négociations de bonne foi entre les parties pour résoudre les difficultés pacifiquement", a-t-il ajouté.
La contestation s'étend en province
Plusieurs centaines de partisans de l'opposition thaïlandaise ont fait irruption samedi dans l'enceinte du gouvernorat de Chiangmai, dans le nord du pays, rapporte un témoin.
A Bangkok, une centaine de personnes ont été blessées dans de nouveaux heurts entre l'opposition et les forces de l'ordre.
Les "chemises rouges" avaient promis de faire le siège des bâtiments administratifs de province en cas d'intervention armée contre les manifestants rassemblés depuis près d'un mois à Bangkok pour réclamer des élections anticipées.
Une cinquantaine de policiers se trouvaient sur les lieux mais ne sont pas intervenus.