La foule rassemblée à la Porte de Brandebourg le 10 novembre 1989. [Keystone / Fischer]
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Berlin, 9 novembre 1989, le jour où le Mur est tombé

Ce jeudi 9 novembre 1989 devait être une journée ordinaire dans une Allemagne déchirée depuis 28 ans. Mais à 18h53 précises, un porte-parole du parti communiste lâche une petite bombe sans s'en rendre compte.

A la suite d'une formidable mobilisation populaire, la frontière va s'ouvrir, le Mur de la honte va tomber, l'Est et l'Ouest vont enfin pouvoir se réunir.

Témoignages, ambiance et images de liesse, le compte-rendu d'une journée et d'une nuit historiques à Berlin.

Frédéric Boillat

08h00

Un jour ordinaire

Un jeudi comme un autre à Berlin, divisé entre l'Est communiste et l'Ouest capitaliste. La ville est séparée par un mur haut de 3 mètres et long de 43 kilomètres depuis la nuit du 12 au 13 août 1961.

Plus de 300 miradors, 10'000 soldats et des barbelés empêchent toute velléité de passage, malgré une contestation qui enfle de jour en jour. Les points de passage sont rares et les contrôles sont très sévères.

La carte de Berlin avant le 9 novembre 1989. [RTS]
La carte de Berlin avant le 9 novembre 1989. [RTS]

08h30

De récentes manifestations

L'inquiétude se fait sentir au sein des instances dirigeantes de l'Allemagne de l'Est. Depuis deux mois, les manifestations se succèdent dans les rues de RDA pour protester contre le pouvoir en place et demander davantage de liberté.

Les manifestants étaient encore plus d'un million le 4 novembre à Berlin-Est et des centaines de milliers dans d'autres villes. Le compte-rendu de la TV ouest-allemande ARD:

09h00

Un règlement des voyages

Quatre officiers des ministères de la sécurité de l'Etat et de l'Intérieur se réunissent sur ordre du Poltibüro du SED (Sozialistische Einheinspartei Deutschland ou Parti socialiste unifié d'Allemagne, autrement dit le parti communiste au pouvoir en RDA).

Ils sont chargés d'élaborer une nouvelle réglementation concernant les voyages hors de la RDA. Ils refusent d'autoriser une sortie libre du pays, mais tombent d'accord sur un droit à des voyages ou des visites d'ordre privé, sur demande préalable.

10h00

Réunion du comité central

Début de la deuxième journée de réunion du comité central du parti. But de la séance: comprendre les fondements de la crise que traversent le parti et le pays.

Le chef du parti Egon Krenz veut que des responsabilités soient établies et que la révolte cesse.

Egon Krenz le 24 octobre 1989. [Keystone - AP Photo/Rainer Klostermeier]
Egon Krenz le 24 octobre 1989. [Keystone - AP Photo/Rainer Klostermeier]

11h00

Le calme règne à Checkpoint Charlie

Checkpoint Charlie au matin du 9 novembre 1989. [Gotanero]
Checkpoint Charlie au matin du 9 novembre 1989. [Gotanero]

12h00

Pause cigarette au comité central

Des membres du Politbüro en profitent pour prendre connaissance de la proposition de réglementation concernant les voyages. Le texte est approuvé et transmis au Conseil des ministres.

16h00

Feu vert de Krenz

Le chef du parti Egon Krenz relit le projet de résolution concernant les voyages et le communiqué de presse annonçant les nouvelles dispositions.

Il donne son feu vert et une conférence de presse est convoquée à 18h pour évoquer la réorganisation du parti et le nouveau règlement.

18h00

Günther Schabowski face à la presse

Günter Schabowski, secrétaire du Comité central chargé des médias et porte-parole des autorités, se présente devant les journalistes avec d'autres membres du SED au centre de presse de Berlin-Est.

Il est chargé de rendre compte de la réunion de crise du bureau politique du parti.

Suivie par une centaine de journalistes allemands et étrangers, la CP est retransmise en direct par la télévision à une heure de grande écoute.

Schabowski évoque tout d'abord des sujets de politique générale durant près d'une heure.

Günter Schabowski [EPA/STR]
Günter Schabowski [EPA/STR]

18h53

Un ton anodin

Peu avant la fin de la conférence, un journaliste de l'agence italienne Ansa demande des précisions sur la nouvelle réglementation concernant les voyages.

Schabowski se lance dans une longue réponse, d'un ton assez détaché, affirmant tout d'abord que "nous connaissons le désir, le besoin de la population de pouvoir voyager, voire quitter la RDA"

Puis il conclut sa tirade: "Nous avons ainsi décidé aujourd'hui de prendre une disposition qui permet à tout citoyen de la RDA de sortir du pays par les postes-frontières."

18h55

L'annonce

Les journalistes présents semblent se réveiller et demandent des précisions.

Hésitant, Schabowski lit ses notes et semble prendre connaissance de la réglementation en même temps qu'il la transmet: "Les voyages privés à l’étranger pourront être autorisés sans conditions particulières ou raisons familiales. Les autorisations seront délivrées rapidement et les services compétentes de la RDA sont chargés de délivrer les visas immédiatement."

18h56

"Immédiatement... sans délai"

Autre question d'un journaliste, qui demande à partir de quand la nouvelle législation entre en vigueur.

Schabowski répond, après une nouvelle hésitation: "A ma connaissance... immédiatement... sans délai."

Voir aussi le compte-rendu complet de la CP établi par chronikdermauer.de

19h00

Murmures dans la salle

A l'heure prévue, Schabowski clôt la conférence de presse, laissant les questions de nombreux journalistes sans réponse.

Dans la salle, on murmure beaucoup, on se demande quelle est la portée exacte de tels propos.

Schabowski, lui, rentre tranquillement chez lui, sans se rendre immédiatement compte de ce qui vient de se passer.

19h05

La première dépêche d'agence

L'agence AP envoie la première dépêche concernant l'événement, avec pour titre "La RDA ouvre les frontières".

Le texte exact est: "La RDA ouvre ses frontières, d'après une annonce du membre du SED Günter Schabowski. Ceci est une disposition transitoire avant l'entrée en vigueur d'une loi sur les voyages, a dit Schabowski."

19h15

Les médias relaient la nouvelle

Les radios de la RFA et de Berlin-Ouest relaient la nouvelle, tout d'abord timidement puis de plus en plus longuement. Idem pour les médias étrangers. On ignore encore ce que cela signifie exactement.

La TV est-allemande annonce également, en sixième position de son journal: "Les demandes de voyage privés à l’étranger peuvent être effectuées dès à présent."

19h41

Une dépêche plus affirmative

L'agence AP est plus affirmative: "Annonce sensationnelle: la frontière entre la RDA et la République fédérale et l'Ouest de Berlin est ouverte."

20h00

"La RDA ouvre ses frontières"

La première chaîne de télévision publique de RFA, ARD, relate l'annonce de Schabowski dans le "Tagesschau". Le titre principal du journal de 20h est "La RDA ouvre ses frontières."

Dans son commentaire, le reporter assure que le Mur va devenir perméable durant la nuit. Egalement cité, le secrétaire général du parti Egon Krenz évoque une proposition concernant les voyages, mais assure que cela prendra beaucoup de temps.

20h15

On arrive aux points de passage

Les premiers Berlinois de l'Est se rassemblent à plusieurs points de passage et demandent à pouvoir franchir la frontière. Ils sont au nombre de 80, selon un rapport établi par la police du peuple, à savoir une dizaine à la Sonnenallee, une vingtaine à l'Invalidenstrasse et une cinquantaine à la Bornholmerstrass.

Ils sont vite beaucoup plus nombreux à affluer, car le Tagesschau attise la curiosité et pousse les gens vers la frontière.

20h30

C'est la confusion entre l'Est et l'Ouest de Berlin

Ni les troupes présentes aux frontières ni les fonctionnaires est-allemands n'ont été prévenus. Les soldats ne savent pas comment réagir à l'afflux de monde, mais les postes-frontières restent fermés.

Des soldats est-allemands livrés à eux-mêmes. [AP Photo/Thomas Kienzle]
Des soldats est-allemands livrés à eux-mêmes. [AP Photo/Thomas Kienzle]

20h45

Fin de la réunion du comité central

Les leaders du parti n'ont pas été prévenus des événements qui ont eu lieu jusqu'ici.

21h10

La pression enfle

La foule grossit toujours, surtout au poste-frontière de Bornholmerstrasse. Entre 500 et 1000 personnes sont désormais présentes.

La pression enfle sur les soldats, la foule crie qu'elle veut passer, la colère monte.

21h15

Hymne allemand au Bundestag

En Allemagne de l'Ouest, la session du Bundestag se termine à Bonn. La séance est interrompue pour la lecture de la dépêche annonçant l'ouverture des frontières. Les députés se lèvent et entonnent l'hymne national:

21h20

On passe d'abord timidement

Les militaires reçoivent enfin des ordres. Pour calmer le jeu, ils doivent laisser passer les premiers citoyens, les plus acharnés, de Berlin-Est à Berlin-Ouest, mais pas plus de 500 au total.

Les gardes-frontière reçoivent l'ordre de photographier et tamponner les passeports de ceux qui passent, pour pouvoir les déchoir de leur nationalité est-allemande. Ils n'auront pas le droit de revenir.

On passe d'abord timidement. [EPA/STR]
On passe d'abord timidement. [EPA/STR]

21h50

Egon Krenz informé

De retour à son bureau, Egon Krenz est enfin informé de la situation à la frontière. Il ne donne pas l'ordre d'ouvrir le Mur et reste vague sur ses intentions.

22h00

Un millier de personnes sont déjà passées

Les Berlinois continuent à franchir peu à peu la frontière de l'Est à l'Ouest.

Certains de ceux qui sont allés à l'Ouest veulent revenir à l'Est. Les soldats leur disent que c'est impossible, que leur passeport a été invalidé. Le ton monte.

22h28

Un sujet à la TV de l'est

La TV est-allemande développe enfin le sujet dans son édition du soir, mais n'y consacre que quelques secondes, après de longues minutes dévolues à la réorganisation du parti.

La déclaration de la présentatrice: "A la demande de nombreux citoyens, nous vous informons à nouveau sur la nouvelle réglementation sur les voyages. Premièrement, les voyages personnels pourront être effectués sans justification préalable. Ensuite, les citoyens qui veulent passer doivent en faire la demande. Les bureaux idoines seront ouverts aux heures habituelles le lendemain."

22h45

Le "Tagesthemen" de ARD ose l'emphase

La traduction: "Bonsoir Mesdames et Messieurs. Il faut rester prudent avec l'emploi de superlatifs, mais ce soir il faut en risquer un. Ce 9 novembre est un jour historique. La RDA a annoncé que ses frontières étaient dès à présent ouvertes pour tout le monde, les portes dans le Mur sont grandes ouvertes".

23h00

La tension monte

Sur la Bornholmerstrasse, la situation est toujours plus tendue. Si des personnes continuent à pouvoir passer, la foule est toujours plus ample et presse les soldats contre les barrières. Dépassés, ceux-ci craignent pour leur vie.

23h30

Ouverture!

Sans ordre concret ni consigne mais sous la pression de la foule, le lieutenant-colonel Harald Jäger décide d'ouvrir le point de passage de la Bornholmerstrasse et de cesser les contrôles.

Des milliers de personnes se pressent au point de frontière, envahissent la salle de commandement et se ruent sur le pont. Ils sont accueillis à l'Ouest dans la clameur.

23h45

20'000 passages à la Bornholmerstrasse

A la Bornholmerstrasse, 20'000 personnes franchissent dans les deux sens le point de passage sur le pont Bösebrücke, que ce soit à pied, à vélo ou dans les vieilles Trabant de l'Est. On boit du champagne et du coca, on s'offre des fleurs, on crie et on chante.

23h50

Ouverture à Checkpoint Charlie

D'autres points de passage sont ouverts, tout d'abord à Berlin, notamment le célèbre Checkpoint Charlie. Puis ailleurs en Allemagne.

23h55

On ne dit rien à Moscou

A l'ambassade soviétique de Berlin-Est, l'ambassadeur adjoint Igor Maximychev renonce à informer Moscou, car une éventuelle intervention armée serait trop dangereuse.

01h30

La fête à la Porte de Brandebourg

Des milliers de personnes sont rassemblées à la Porte de Brandebourg, fêtant et dansant. Certains montent sur le Mur, tout d'abord aspergés par les lances à eau de l'armée est-allemande, puis laissés libres de leurs mouvements.

Peu à peu, des centaines de personnes se promènent gaiement sur le Mur et sous la Porte de Brandebourg, devant des soldats stoïques.

La foule se presse à la porte de Brandebourg. [AP Photo/Jockel Finck/09.11.1989 - JOCKEL FINCK]
La foule se presse à la porte de Brandebourg. [AP Photo/Jockel Finck/09.11.1989 - JOCKEL FINCK]

01h40

Un Mur détruit au burin

La foule commence à casser des petits bouts de mur à coups de pioche, de marteau et de burin.

Une folle nuit racontée par le Soir 3 de France 3, un document de l'INA:

02h00

A titre transitoire

Dans le flash de la TV radio est-allemande, le ministère de l'Intérieur communique que la frontière peut être franchie "à titre transitoire" jusqu'à 8h le lendemain, sur présentation de la carte d'identité.

03h00

"Le Mur est mort

Un reportage de la Radio suisse romande au coeur d'une nuit pleine d'émotion:

Liesse lors de la chute du Mur de Berlin. [RTS]RTS
"Le Mur est mort" / Emission sans nom / 2 min. / le 10 novembre 1989

03h30

Embouteillages dans Berlin-Ouest

Des milliers de personnes sont toujours sur le Mur, on passe vers l'est, on passe vers l'ouest dans une ambiance festive.

La fête sur le Mur.

05h30

La presse allemande exulte

05h50

Premier bilan chiffré

Quelque 60'000 personnes sont passées de l'Est à l'Ouest durant la nuit et environ 45'000 sont revenues ensuite.

05h55

C'est la fin d'une nuit de folie à Berlin

Le compte-rendu de l'envoyé spécial de la TSR:

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le Mur de Berlin s'écroule. [RTS]
La chute du Mur / TJ midi / 3 min. / le 11 novembre 1989

06h00

La police tente de réagir

La police du peuple est-allemande a repris le contrôle des points de passage, dont la Porte de Brandebourg.

Dès à présent, seules les personnes munies d'un visa approprié peuvent partir pour Berlin-Ouest, y compris pour des départs permanents.

07h15

Un réveil ensoleillé

Ciel bleu au réveil et toujours ces images de foule sur le Mur, ici devant le bâtiment du Reichstag

Ciel bleu au réveil et toujours ces images de foule sur le Mur, ici devant le bâtiment du Reichstag. [AP]
Ciel bleu au réveil et toujours ces images de foule sur le Mur, ici devant le bâtiment du Reichstag. [AP]

07h30

Egon Krenz écrit à Mikhaïl Gorbatchev

"Au vu de l'évolution de la situation en RDA, il a été nécessaire durant la nuit de permettre la sortie des citoyens de la RDA vers Berlin-Ouest. Les grands rassemblements de personnes aux points de passage ont exigé de nous une décision à court terme. Une non-admission des départs à Berlin aurait eu des conséquences politiques graves, dont les dimensions n'auraient pas été gérables."

Et de préciser que la RDA contrôle à nouveau désormais les points de passage.

08h00

La queue pour les visas

Les Berlinois de l'Est commencent à faire la queue pour obtenir des visas afin d'aller à l'Ouest. Le tampon s'obtient très facilement.

Puis les gens font la queue aux postes-frontières. D'immenses colonnes de voitures se forment peu à peu. Les contrôles sont rapides.

Le défilé des voitures à Checkpoint Charlie. [AP Photo/Thomas Kienzle]
Le défilé des voitures à Checkpoint Charlie. [AP Photo/Thomas Kienzle]

10h00

Les Allemands de l'Est découvrent les magasins de l'Ouest

Un reportage de Soir 3 du 10 novembre, un document de l'INA:

11h30

Réaction mesurée de René Felber

Le conseiller fédéral alors en charge du Département des affaires étrangères s'exprime pour la première fois.

René Felber, conseiller fédéral. [RTS]
La réaction de René Felber / Télé Journal / 1 min. / le 10 novembre 1989

12h45

Le premier Téléjournal

A chaud, le Téléjournal de la TSR rend compte de cette page d'histoire avec ses invités.

Foule de Berlinois sur le mur de la honte pour célébrer sa chute dans la nuit du 9 novembre 1989. [RTS]
Une page d'histoire / Télé Journal / 37 min. / le 10 novembre 1989

Et voir aussi le Téléjournal de 19h30:

Le monde réagit à la chute du Mur de Berlin. [RTS]
Le monde réagit / Télé Journal / 22 min. / le 10 novembre 1989

13h00

Le bilan

En moins de 24 heures, le Mur de la honte est tombé. Durant les jours qui suivent, l'ouverture entre l'Est et l'Ouest se concrétise toujours davantage. Le mur est peu à peu détruit par les bulldozers.

Le 3 octobre 1990, presque un an plus tard, la réunification de la RDA et la RFA est effective. L'Allemagne n'est plus qu'un seul Etat.

Un trou béant dans le mur qui ne se refermera pas. [EPA/DPA/Str]
Un trou béant dans le mur qui ne se refermera pas. [EPA/DPA/Str]

13h00

Le nombre de décès

On ignore avec précision combien de personnes ont perdu la vie en tentant de franchir le Mur et la controverse règne toujours 30 ans après.

Le total de victimes officiellement retenu est souvent de 138 morts. Mais le sort de 251 personnes qui ont disparu avant ou après un contrôle à la frontière demeure très incertain.

Ainsi, selon une récente étude citée par chronikdermauer.de, ce serait un total de 575 morts qui pourraient être retenu.

Une croix représentant l'endroit où est mort un fuyard, au mémorial du Mur à Berlin. [AP Photo/Markus Schreiber]
Une croix représentant l'endroit où est mort un fuyard, au mémorial du Mur à Berlin. [AP Photo/Markus Schreiber]

Les +

Pour en savoir plus

Rendez-vous sur le très riche site chronik-der-mauer.de.

Consultez aussi le site des archives de la RTS .