Dans les terrains vagues de Calais, dans le nord de la France, des gens attendent, cachés dans les talus ou nichés dans les hautes herbes. Hommes, femmes et enfants dorment dans des tentes de fortune, sous une météo parfois glaciale, avec un seul espoir: atteindre le Royaume-Uni pour une vie meilleure.
Une famille géorgienne, installée dans une friche à côté de l’autoroute de Calais, s’abrite sous une bâche tendue entre deux petites tentes. Trois générations s’agglutinent autour d’un feu qui brûle péniblement. Pourquoi veulent-ils rejoindre l’Angleterre? "Pour aller à l’école là-bas", répond le cadet âgé de 9 ans, interrogé mardi dans La Matinale. Cela fait un an qu’ils attendent de tenter la traversée. Ces douze mois passés dehors ont suffi aux enfants pour apprendre un peu le français et ce sont eux qui conversent avec les humanitaires.
"Avez-vous besoin de bois?", demande un bénévole qui tient une brouette remplie de bûches. "Oui, ici", indique l’enfant. Dans ces conditions de vie précaires, le feu est un élément essentiel. Il permet de se réchauffer, de cuisiner et de sécher ses vêtements. Alors pour garantir un peu de cela, l’équipe de Woodyard prépare et distribue quotidiennement des sacs de bois aux personnes migrantes qui vivent dehors.
L’espoir au bout de la mer
L'initiative, chapeautée par l’Auberge des migrants, existe depuis 2016 et elle ne reçoit aucun financement public. "C’est très violent que les gens soient dehors, tout le temps, y compris quand il fait froid et qu’il pleut énormément", regrette Romane, coordinatrice de Woodyard, qui mène la distribution du jour. Elle reprend l’itinéraire, cette fois-ci en direction de trois jeunes hommes.
"Je viens d’Erythrée, je suis arrivé à Calais hier", raconte l’un d’entre eux qui s’abrite comme il peut sous son imperméable. Il est passé par la Libye, l’Italie et a fait une demande d’asile en France, une demande qui a été refusée. Il continue sa route, avec l’espoir d’être accueilli au Royaume-Uni. "Non", il n’a pas peur de traverser la Manche sur un bateau de fortune, assure-t-il.
Et de confier, la voix tremblante: "Je suis parti de mon pays en 2015. Cela fait donc neuf ans, presque dix. C’est ma vie…" Malgré ces années sur la route, il espère reprendre les études une fois au Royaume-Uni.
De l’autre côté
Après quatre mois à Calais et une tentative de traversée ratée, Ali* a finalement réussi à atteindre l’Angleterre par la Manche, à bord d’un "small boat" ("petit bateau", en anglais). Originaire de Somalie, il est passé par l’Espagne et la France, avant de gagner l’Angleterre. "On a utilisé le bateau pour venir ici, pour être en sécurité", explique-t-il. "Ce n’est pas agréable, mais c’est le chemin du voyage."
La traversée est dangereuse notamment parce qu’elle se pratique à bord d’embarcations pneumatiques saturées. Depuis janvier, 54 personnes sont mortes en tentant la traversée. Un nombre qui fait de 2024 une année particulièrement meurtrière.
Logés dans une caserne militaire
Ali* est aujourd’hui hébergé à "Napier Barracks", une ancienne caserne militaire transformée en centre pour requérants d’asile et basée à Folkestone, ville côtière au sud du Royaume-Uni. Le lieu est controversé car le bâtiment, jugé non conforme, devait être détruit. Son utilisation a finalement été prolongée jusqu’en 2025.
Environ 300 personnes y sont logées, explique Sally Hough, responsable du "Drop in Centre", un lieu d’accueil pour les demandeurs d’asile résidant à Napier Barracks. Situé dans une petite maisonnette au toit pointu, adjacente à l’église de Folkestone, le centre est ouvert chaque mercredi. On y donne des conseils administratifs, on échange, on cuisine et on se change les idées. Parmi ceux qui y font halte, on retrouve Ali.
Le mythe du bateau
"Plus de 50% des gens logés à Napier Barracks sont arrivés par avion et moins de 50% par bateau. C’est un mythe de penser qu’ils sont tous venus par bateau. (…) Après leur arrivée à Douvres, ces personnes se dispersent dans le pays. Ce n’est qu’une fois enregistrées dans le système d’asile qu’elles peuvent être hébergées ici", souligne Sally Hough.
C’est le cas pour Ali. Après être arrivé sur les côtes anglaises, il s’est directement rendu à Londres. Ce n’est qu’une fois sa demande d’asile enregistrée que les autorités l’ont placé dans cet hébergement, aux portes de la Manche. Cette mer, sous ses yeux, il la regarde souvent. "Cela me rappelle le jour du voyage. Parfois on y va juste pour la regarder. Je garde toujours en tête ce qu’il s’est passé. Je me souviens et n’oublierai jamais."
Ali a déjà fait son premier entretien de demande d’asile, il attend le deuxième, avec l’espoir de faire venir sa femme et ses parents.
*prénom d’emprunt
Salomé Laurent