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A Belgorod, la guerre est importée sur le territoire russe

Une photo montre une cuisine détruite dans un immeuble touché par un bombardement ukrainien à Belgorod, en Russie, le 17 mars 2024. [Reuters via Telegram - Vyacheslav Gladkovm gouverneur de Belgorod]
Une photo montre une cuisine détruite dans un immeuble touché par un bombardement ukrainien à Belgorod, en Russie, le 17 mars 2024. - [Reuters via Telegram - Vyacheslav Gladkovm gouverneur de Belgorod]
Depuis plusieurs jours, la région russe de Belgorod, frontalière de l'Ukraine, est la proie d'attaques perpétrées par des volontaires russes opposés au Kremlin. Une situation qui n'est pas inédite depuis le début de la guerre mais qui surprend par son intensité. Des tanks auraient notamment réussi à passer en territoire russe, une première.

Au mois d'avril 2023, Belgorod avait été la première ville russe d'importance à être frappée depuis le début du conflit avec l'Ukraine. Dépôt de carburant, centrales électriques mais aussi immeubles résidentiels: les attaques sont depuis devenues monnaie courante pour cette cité de près de 400'000 habitants, située à seulement 40 kilomètres au nord de la frontière.

Pour les forces ukrainiennes, frapper Belgorod, que ce soit à l'aide d'obus ou de drones chargés d'explosifs, revêt un véritable intérêt stratégique. Depuis le début de la guerre, la ville a été l'une des principales routes par lesquelles les troupes russes ont été transportées vers le Donbass. Elle a aussi représenté un véritable hub logistique, car elle dispose notamment des installations pour la formation des soldats fraîchement recrutés.

>> Relire à ce sujet : Belgorod, la base logistique russe devenue la cible des Ukrainiens

Des incursions d'une plus haute intensité

Si les tirs ne se sont donc jamais véritablement arrêtés, les bombardements mais surtout les attaques de drones se sont très largement intensifiés depuis le 12 mars 2024.

En l'espace d'une semaine, au moins 16 personnes auraient été tuées et 98 autres blessées, selon Viatcheslav Gladkov, gouverneur de la région de Belgorod. Sur les réseaux sociaux, les vidéos montrant les dégâts des frappes sur la ville ou les villages alentours se multiplient: voitures calcinées, alarmes qui résonnent, immeubles résidentiels ou commerciaux soufflés par les explosions.

Dans le même temps, plusieurs incursions terrestres ont été effectuées par des unités militaires composées de combattants russes opposés à Vladimir Poutine.

Dans une prise de parole lundi, Vladimir Poutine a reconnu pour la première fois que les formations à l'oeuvre dans ces raids étaient composées de citoyens russes. Fraîchement réélu, le président russe a appelé à retrouver les membres de "ces quatre groupes traîtres" (Le Corps des volontaires russes (RDK), La Légion "Liberté de la Russie", le Bataillon sibérien et les volontaires d'Itchkérie, une formation tchétchène, ndlr) et "à les exécuter".

Le président russe Vladimir Poutine lors d'un discours au cours de la réunion du collège du Service fédéral de sécurité (FSB) à Moscou, en Russie, le 19 mars 2024. [REUTERS - Sergey Guneev]
Le président russe Vladimir Poutine lors d'un discours au cours de la réunion du collège du Service fédéral de sécurité (FSB) à Moscou, en Russie, le 19 mars 2024.  [REUTERS - Sergey Guneev]

Au mois de mai 2023, une incursion conséquente dans la région de Belgorod avait déjà été effectuée par des troupes russes opposées à Vladimir Poutine.

Le Corps des volontaires russes (RDK) et la Légion "Liberté de la Russie" avaient alors obligé la Russie à décréter un régime "antiterroriste" et à évacuer de nombreux civils de la région, avant d'être finalement repoussés.

>> Relire à ce sujet : Ce que l'on sait des deux groupes armés qui ont revendiqué une incursion en Russie et Des combattants font une incursion armée en Russie et frappent plusieurs villages

Près d'un an plus tard, la situation semble donc se répéter. Le gouverneur a d'abord annoncé la fermeture de tous les collèges et écoles de certaines parties de la région de Belgorod pour lundi et mardi, puis l'évacuation de 9000 mineurs de villages frontaliers de l'Ukraine.

Une photo montre ce que le ministère russe de la Défense considère être un char détruit après une tentative d'incursion sur le territoire russe à un poste frontière entre la Russie et l'Ukraine près du village de Nekhoteevka, dans la région de Belgorod, le 12 mars 2024. [Reuters - Ministère russe de la Défense]
Une photo montre ce que le ministère russe de la Défense considère être un char détruit après une tentative d'incursion sur le territoire russe à un poste frontière entre la Russie et l'Ukraine près du village de Nekhoteevka, dans la région de Belgorod, le 12 mars 2024. [Reuters - Ministère russe de la Défense]

Les raids semblent toutefois d'une autre ampleur. S'il n'est pas possible de savoir précisément combien de soldats ont traversé la frontière russe, des tanks auraient pu pénétrer sur le territoire, ce qui serait une première.

Le ministère russe de la Défense a de son côté annoncé avoir "neutralisé" cinq chars et un véhicule blindé ennemi aux villages-frontières de Nekhoteevka et Spodariushino, deux localités de l'oblast de Belgorod. Impossible en l'état de savoir si ces chars sont véritablement entrés sur le territoire russe, ni si d'autres ont pu y pénétrer plus en profondeur.

Les forces ukrainiennes ne sont quant à elles pas formellement associées à ces groupes dissidents, notamment car les alliés occidentaux ont mis leur veto à l'usage de leurs armes sur le territoire russe, en raison du risque de représailles. Néanmoins, de l'avis de nombreux experts, ces attaques semblent concertées avec Kiev qui, outre les attaques par drones, fournit à ces unités de l'aide en matière de renseignement.

Faire passer "un message" à Vladimir Poutine

Le fait que les raids aient commencé dans la semaine qui a précédé la réélection de Vladimir Poutine au pouvoir n'est pas un hasard. Il s'agissait notamment de perturber le déroulement du vote dans la région de Belgorod mais également de Koursk, située plus au nord, et de saper le sentiment de stabilité en Russie.

"Poutine a commenté à deux reprises notre opération spéciale de libération, ce qui signifie que nous atteignons la cible. Ces attaques visaient à montrer la résistance à Vladimir Poutine lors des élections. Une élection est le moment où nos voix peuvent être entendues", confirme au New York Times Alexeï Baranovsky, porte-parole de la Légion "Liberté de la Russie". Plus ambitieux, Denis Kapoustine, leader du Corps des volontaires russes (RDK), déclare avoir pour objectif de "détenir un territoire à l'intérieur de la Russie".

Si un certain vent de panique est perceptible dans la région, l'image de Vladimir Poutine ne semble pas écornée, bien au contraire. Dans un reportage effectué dans les rues de Belgorod, le Washington Post a recueilli plusieurs témoignages et sa conclusion est sans appel: "Il y a peu de signes que ces efforts portent leurs fruits, et pour de nombreux habitants, de telles attaques ne font que renforcer leur soutien à Poutine et consolident le faux narratif du Kremlin selon lequel les Russes sont les victimes de la guerre, et non ses auteurs", rapporte le grand quotidien américain.

Le commandant du corps des volontaires russes (RDK), Denis Kapoutsine (ici à droite), photographié près de la frontière russe, le 24 mai 2023. [REUTERS - VIACHESLAV RATYNSKYI]
Le commandant du corps des volontaires russes (RDK), Denis Kapoutsine (ici à droite), photographié près de la frontière russe, le 24 mai 2023.  [REUTERS - VIACHESLAV RATYNSKYI]

Un narratif qui est également accentué par le fait que plusieurs des formations militaires russes dissidentes ont des accointances très nettes avec les milieux d'extrême-droite.

Denis Kapoutsine est par exemple un hooligan qui a milité parmi les groupes néonazis allemands, puis russes. Il est d'ailleurs considéré comme néonazi par l'Anti-Defamation League, une ONG américaine dont le but est de soutenir les Juifs contre l'antisémitisme. La propagande russe selon laquelle "l'opération militaire spéciale" est vouée à se défendre "de la menace nazie" gagne donc en crédit.

Quelles conséquences militaires?

Au cours des derniers mois, Kiev est devenu de plus en plus audacieux, en organisant des attaques directes à l'intérieur du territoire russe, en frappant de nombreuses raffineries et dépôts de carburant ou encore en sabotant des chemins de fer jusqu'en Sibérie.

Les raids concertés dans les régions de Belgorod et de Koursk suivent cette même logique mais détonnent par leur intensité. Pour de nombreux analystes militaires, ce genre d'opérations, associés aux frappes par drones et aux sabotages, servent à détourner les forces russes du front, et notamment les défenses aériennes. Les attaques sur les raffineries ont quant à elles pour but de mettre à mal l'économie pétrolière, là où les sanctions internationales se sont avérées relativement inefficaces.

Ces "micro-offensives" restent toutefois de portée limitée et n'ont pas d'effets décisifs sur le cours de la guerre. L'Ukraine se trouve toujours sur la défensive à peu près partout sur le front, souffrant d'un manque d'hommes et surtout de munitions chronique.

Si les attaques dans la région de Belgorod ont une fois de plus révélé une certaine fragilité côté russe, c'est bien Moscou qui continue à grignoter du territoire. Mardi, le ministère de la Défense a notamment affirmé avoir "libéré" le village d'Orlivka (est de l'Ukraine), au nord-ouest de la ville d'Avdiivka, ville-forteresse conquise par Moscou en février après des mois de combats.

Tristan Hertig

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