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A quoi s'attendre pour la politique internationale des Etats-Unis après le retour de Trump?

Que faut-il attendre de Donald Trump en terme de politique étrangère et de défense? [AP Photo / Keystone - Evan Vucci]
Quelle politique étrangère ? Interview de Marie Jourdain / Tout un monde / 6 min. / hier à 08:14
Depuis la première investiture de Donald Trump en 2017, le monde a bien changé: invasion de l’Ukraine, guerre au Proche-Orient, tensions toujours plus vives entre la Chine et Taïwan. Quels choix de politique étrangère, de sécurité et de défense sont à prévoir pour le second mandat du milliardaire républicain?

Ukraine

Que décidera Donald Trump à propos de l'Ukraine? Il est difficile d'y répondre tant le président élu des Etats-Unis est imprévisible et est resté flou sur la question, tout en promettant de mettre fin à la guerre très rapidement.

Ces derniers mois, le magnat de 78 ans n'a cessé de marteler qu'il était capable d'imposer une paix en Ukraine en "24 heures", et peut-être avant même sa prise de fonction, mais sans jamais expliquer comment. Il a décrié, tout comme son futur vice-président J.D. Vance, l'ampleur des dizaines de milliards de dollars d'aide versée à Kiev. 

La forme exacte que pourrait prendre l'accord de paix voulu par Trump reste floue. Il n'y a qu'un objectif déclaré sans réelle stratégie pour l'accompagner

Marie Jourdain, experte à l'Atlantic Council

Invitée dans Tout un monde, Marie Jourdain, experte à l'Atlantic Council, prédit que Donald Trump et son vice-président chercheront un accord pour mettre un terme à la guerre. "Mais la forme exacte que pourrait prendre cet accord reste floue. Il n'y a qu'un objectif déclaré sans réelle stratégie pour l'accompagner."

A Kiev, on craint que le nouveau président, pour qui "cette guerre n'aurait jamais dû avoir lieu", puisse imposer un plan de paix favorable à la Russie, Donald Trump mettant régulièrement en avant sa "très bonne relation" avec Vladimir Poutine.

>> Relire aussi : Les relations troublantes entre Donald Trump et Vladimir Poutine au coeur du dernier livre de Bob Woodward et Régis Genté: L'influence russe sur Donald Trump est "certainement très importante"

Loin d'être le fruit du hasard, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a d'ailleurs été parmi les premiers dirigeants étrangers à féliciter Donald Trump, disant notamment espérer que son élection aiderait l'Ukraine à obtenir une "paix juste".

A ce sujet, Marie Jourdain souligne que les relations entre les deux hommes sont historiquement tendues. " Volodymyr Zelensky est lié à la première procédure d'impeachment contre Trump en 2019", rappelle-t-elle.

>> Revoir le sujet du 19h30 du 25 septembre 2019 sur la procédure de destitution :

USA: procédure de destitution lancée contre D.Trump,soupconné d'avoir incité l'Ukraine à enquêter contre son rival Joe Biden
USA: procédure de destitution lancée contre D.Trump,soupconné d'avoir incité l'Ukraine à enquêter contre son rival Joe Biden / 19h30 / 2 min. / le 25 septembre 2019

>> Relire à ce sujet : La procédure de destitution visant Donald Trump en questions

Quoi qu'il en soit, dans l'immédiat, Donald Trump devrait chercher à avoir une rencontre au sommet avec le président russe. Toutefois, pour Marie Jourdain, il n'est pas certain que Vladimir Poutine voit un intérêt à un cessez-le-feu à court terme. "Actuellement, la Russie a l'avantage militaire et continue de gagner du terrain", conclut-elle.

Europe

Plusieurs dirigeants de l'Union européenne, à l'image du président français Emmanuel Macron ou du chancelier allemand Olaf Scholz, ont félicité Donald Trump pour sa victoire. Derrière ces félicitations, les dirigeants européens s'inquiètent surtout de l'impact qu'un retour du milliardaire républicain pourrait avoir sur l'évolution des relations entre Bruxelles et Washington, déjà tendues lors du premier mandat de l'homme d'affaires, entre 2016 et 2020.

On a un risque d'avoir une conditionnalité du soutien américain aux pays de l'Otan. Par exemple, s'ils ne dépensent pas une part de leur PIB, 2 ou 3%, les Etats-Unis déclareraient qu'ils ne viendraient pas les soutenir

Marie Jourdain, experte à l'Atlantic Council

Les critiques virulentes de Donald Trump à l'égard notamment de l'Otan n'incitent guère à l'optimisme. Pour rappel, lors de son premier mandat, le président républicain avait poussé plusieurs membres de l’Alliance à augmenter leur budget militaire en menaçant de se retirer de l’organisation. Des menaces qu'il a réitérées durant sa campagne.

>> Revoir le sujet du 19h30 du 11 juillet 2018 sur les tensions à l'Otan :

OTAN à Bruxelles: un sommet sous tension. Les 29 dirigeants des pays membres de l'Organisation réunis pour deux jours.
OTAN à Bruxelles: un sommet sous tension. Les 29 dirigeants des pays membres de l'Organisation réunis pour deux jours. / 19h30 / 2 min. / le 11 juillet 2018

>> Relire à ce sujet : Donald Trump demande des dépenses militaires plus élevées à l'Otan et Donald Trump menace de ne plus garantir la protection de l'Otan face à la Russie

Selon Marie Jourdain toutefois, il ne faut pas s'attendre à ce que l’approche de Donald Trump en matière de relations internationales, en particulier vis-à-vis de ses alliés, ne change. Elle ne pense pas que le républicain annoncera quitter l'alliance transatlantique. "Mais on a un risque d'avoir une conditionnalité du soutien américain aux pays de l'alliance. Par exemple, s'ils ne dépensent pas une part de leur PIB, 2 ou 3%, les Etats-Unis déclareraient qu'ils ne viendraient pas les soutenir", anticipe-t-elle. "Ce qui est contraire à la logique même de l'alliance."

Et une absence de soutien américain pourrait avoir des répercussions pour les pays de l'alliance. "Comme première puissance militaire au monde, les Etats-Unis ont la capacité de garantir la sécurité de leurs alliés, en dissuadant les potentiels adversaires d'attaquer. Si cette garantie est affaiblie, cela pourrait compromettre la dissuasion."

Le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, s'est d'ailleurs empressé, juste après l'annonce de la victoire de Donald Trump, d'appeler les Etats-Unis et l'Europe à "travailler ensemble au sein de l'Otan" pour une politique de dissuasion.

De leur côté, certains dirigeants européens, à l'image d'Emmanuel Macron, plaident désormais pour une émancipation. A l'ouverture du sommet de la Communauté politique européenne à Budapest ce jeudi, le président français a affirmé que les Européens ne devaient pas "déléguer pour l'éternité" leur sécurité aux Américains et devaient plus largement "défendre" leurs "intérêts" face aux Etats-Unis et à la Chine.

Proche-Orient

Sur le Proche-Orient, il est souvent dit que, que ce soit Biden/Harris ou Trump, la politique américaine envers Israël resterait inchangée. Mais Marie Jourdain nuance: pour elle, des différences existent.

"Démocrates et républicains s’engagent tous pour la sécurité d'Israël, de la même manière que l'Europe le fait. En revanche, la relation va être différente concernant notamment la Cisjordanie", précise-t-elle. "Donald Trump a une position plus souple sur les colonies israéliennes, qu'il ne considère pas comme illégales, contrairement à l’administration démocrate qui a d'ailleurs récemment condamné quatre personnes pour colonisation illégale."

Sous Trump, il n'est pas certain que les Etats-Unis aient la capacité à modérer les ambitions israéliennes

Marie Jourdain, experte à l'Atlantic Council

De plus, les Etats-Unis sont capables d'exercer une certaine pression sur Israël pour limiter ses objectifs militaires, du moins tant que Joe Biden est au pouvoir. Récemment, Israël a ciblé des objectifs précis lors d'une attaque en Iran, sans toucher aux infrastructures nucléaires, souligne-t-elle. "Sous Trump, il n'est pas certain que les Etats-Unis aient cette même capacité à modérer les ambitions israéliennes."

Benjamin Netanyahu et ses partisans l'ont bien compris, saluant rapidement avec enthousiasme l'élection de Donald Trump. Ils estiment que le futur chef de la Maison Blanche soutiendrait l'Etat juif de manière "inconditionnelle". Le Premier ministre israélien s'est ensuite entretenu dans la journée avec le président élu. "La conversation a été chaleureuse et cordiale", ont dit ses services dans un communiqué, ajoutant que la discussion avait porté sur la "menace iranienne" et la nécessité de travailler de concert pour la sécurité d'Israël.

Quoi qu'il en soit, les Israéliens espèrent que Donald Trump poursuivra sur la lancée de son premier mandat, durant lequel il avait multiplié les gestes diplomatiques en faveur d'Israël, notamment en reconnaissant Jérusalem comme capitale d'Israël et en transférant l'ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.

>> Revoir l'allocution de Donald Trump lors de laquelle il reconnaît Jérusalem comme capitale d'Israël, le 6 décembre 2017 :

La déclaration de Donald Trump sur Jérusalem
La déclaration de Donald Trump sur Jérusalem / L'actu en vidéo / 45 sec. / le 6 décembre 2017

>> Relire à ce sujet : Donald Trump reconnaît Jérusalem comme la capitale d'Israël

Il y a également l'attente d'une politique dure envers l'Iran, les Israéliens souhaitant un renforcement des sanctions économiques contre Téhéran. Les milieux d'extrême droite israéliens attendent aussi de lui qu'il facilite l'expansion des colonies en Cisjordanie et allège les sanctions contre les colons imposées par l'administration Biden.

Chine/Taïwan

Donald Trump s'est toujours montré très ferme envers la Chine, ce qui pourrait rassurer Taïwan. Mais comme l'explique Marie Jourdain au micro de Tout un monde, le président élu a une approche différenciée entre la Chine et Taïwan. "Concernant la Chine, il souhaite rééquilibrer la balance commerciale, avec des droits de douane potentiels allant jusqu'à 60%", note-t-elle.

Contrairement à Joe Biden, Donald Trump n'est pas favorable à une alliance multilatérale englobant le Japon, la Corée du Sud et l'Australie en cas d'invasion ou en tout cas de blocus économique de Taïwan par la Chine

Marie Jourdain, experte à l'Atlantic Council

Cependant, pour Taïwan, poursuit-elle, il n'est pas du tout enclin à une nouvelle conflagration dans la zone. "Il a d'ailleurs parlé de la nécessité pour Taïwan d'acheter l'assurance de sécurité américaine en multipliant par quatre son budget de la défense", souligne-t-elle. A savoir que Washington est le plus grand fournisseur d'armes à Taïwan, qui en a besoin pour se défendre contre une éventuelle attaque chinoise. 

Et le dernier point concernant Taïwan: l'approche très différenciée entre les deux présidents américains sur le rôle des alliances. "Contrairement à Joe Biden, Donald Trump n'est pas favorable à une alliance multilatérale englobant le Japon, la Corée du Sud et l'Australie en cas d'invasion ou en tout cas de blocus économique de Taïwan par la Chine."

Si le soutien à Taïwan avait fait jusqu'à présent consensus entre démocrates et républicains, notamment au Congrès, Donald Trump a laissé entendre pendant la campagne que les Etats-Unis ne s'engageraient pas à défendre militairement cette île en cas d'attaque chinoise. Il a semé le trouble en suggérant que Taïwan "devrait payer" son pays pour sa défense et l'a aussi accusé d'avoir "volé" aux Etats-Unis leur industrie de semi-conducteurs.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Texte web: Fabien Grenon

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