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Aaron David Miller: "Les Iraniens peuvent dire que l’affaire est close, pour Israël, ce n'est pas le cas"

Aaron David Miller. [CC BY-SA 3.0 - The Woodrow Wilson International Center for Scholars]
Iran-Israël: la région est entrée dans "un cul-de-sac stratégique": interview d’Aaron David Miller / Tout un monde / 7 min. / le 15 avril 2024
Dans la nuit de samedi, l'Iran a attaqué pour la première fois de son histoire de manière directe le sol israélien. Si les dégâts s'avèrent au final minimes, l'Etat hébreu devrait vraisemblablement rétorquer. C'est en tout cas l'avis d'Aaron David Miller, ex-négociateur américain pour le Moyen-Orient.

Drones, missiles balistiques, missiles de croisière. Au total, plus de 300 engins sont partis d'Iran samedi soir en direction d'Israël. A cela s'ajoute des attaques de roquettes du Hezbollah libanais sur les hauteurs du Golan et le lancement de drones vers Israël par les rebelles houthis du Yémen.

Cette attaque synchronisée était une réponse directe au bombardement israélien d'un bâtiment appartenant au consulat iranien de Damas le 1er avril dernier, qui a coûté la vie à sept membres des Gardiens de la révolution, dont deux hauts gradés.

La réaction iranienne semble avoir été calculée pour tenter d'éviter un embrasement général. Les cibles des frappes en Israël sont en effet restées militaires et au final, l'immense majorité des projectiles (99% d'entre eux, selon Tel Aviv) ont pu être interceptés par des systèmes de défense antiaérienne israéliens, américains, jordaniens ou encore français.

>> Revoir également le reportage du 12h45 :

L'attaque de la nuit sur Israël ravive les craintes de la population mais attise aussi les volontés de répliques contre l'Iran
L'attaque de la nuit sur Israël ravive les craintes de la population mais attise aussi les volontés de répliques contre l'Iran / 12h45 / 1 min. / le 14 avril 2024

"Je m'attends à une riposte"

A Téhéran, les autorités jugent que l'attaque a été un succès et qu'il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. Invité lundi de l'émission Tout un monde, Aaron David Miller, ex-négociateur des Etats-Unis pour la région sous six secrétaires d’Etat différents, estime toutefois qu'Israël ne pourra sans doute pas en rester là.

"Je pense que les Israéliens ne peuvent tout simplement pas se permettre d'être frappés par 330 missiles de différents types et l'accepter comme si c'était normal", analyse-t-il.

"Je m'attends à ce qu'Israël riposte. Quand? Comment? Est-ce que ça dégénérera en une escalade dramatique avec une guerre majeure entre Israël et le Hezbollah et une confrontation directe répétée entre Israël et l'Iran, qui pourrait même entraîner les Etats-Unis dans le conflit? Cela reste à voir", ajoute-t-il.

L'impuissance des Etats-Unis?

Pour celui qui est désormais chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la Paix, à Washington, les Etats-Unis ne pourront cette fois-ci pas influer sur la décision israélienne de riposte.

"La dernière fois qu'Israël a été attaqué directement par un autre Etat, c'était il y a 33 ans, quand Saddam Hussein a lancé 43 missiles Scud au cours de la première guerre d'Irak menée par les Etats-Unis (...) À l'époque, le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir a été persuadé de ne pas répondre par le gouvernement de George Bush père", rappelle-t-il.

La situation actuelle a atteint un cul-de-sac stratégique.

Aaron David Miller, ex-négociateur américain pour le Moyen-Orient et chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la Paix

Mais alors que le président américain actuel Joe Biden presse à son tour Tel Aviv de ne pas réagir, la donne est cette fois-ci différente, selon l'expert, car il s'agit là "d'un conflit existentiel".

"On parle d’un État quasi nucléaire (l'Iran, ndlr) et d’un Etat nucléaire (Israël, ndlr). Les deux Etats s'opposent dans un conflit que chacun estime vital pour ses intérêts de sécurité nationale. Je pense donc qu'il n'y a pas beaucoup de chances que les Etats-Unis puissent faire pression sur Israël pour qu'il se retienne", analyse-t-il.

Aucun levier dans la communauté internationale

Pour illustrer ses propos, Aaron David Miller rappelle que Washington, bien que jouant un rôle important, n'a pas été en mesure d'influer véritablement sur le déroulement de la guerre entre le Hamas et Israël.

"Six mois après le début de ce conflit, ce sont les deux principaux belligérants — Israël et le Hamas — qui jouent toujours le rôle principal dans la définition des objectifs, des motivations, des trajectoires et de l'influence des puissances extérieures", décrit-il.

La communauté internationale ne peut pas stopper la montée des tensions entre Israël et le Hezbollah et elle ne peut pas empêcher les Gardiens de la révolution iranienne de diriger leurs alliés contre Israël

Aaron David Miller, ex-négociateur américain pour le Moyen-Orient et chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la Paix

Quant à la communauté internationale, il lui sera très difficile de faire pression sur Tel Aviv, juge le spécialiste. "Elle ne peut pas stopper la montée des tensions entre Israël et le Hezbollah et elle ne peut pas empêcher les Gardiens de la révolution iranienne de diriger leurs alliés contre Israël. Elle n'a pas non plus été en mesure de résoudre le problème du programme nucléaire iranien. Je pense donc qu'il est inévitable que des représailles israéliennes se produisent", précise-t-il.

Pour Aaron David Miller, la question reste de savoir quelle forme prendront les représailles de l'Etat hébreu. "Je ne pense pas que la réponse israélienne sera irréfléchie. Elle sera délibérée (...) reste à en connaître la profondeur et à savoir si elle entraînera la région dans une confrontation majeure", note-t-il.

Pessimiste, l'ex-négociateur juge donc que même si les Iraniens estiment "l'affaire close", elle ne l'est pas pour Israël, les attaques iraniennes ayant créé un nouveau seuil entre les deux pays. "La situation actuelle a atteint un cul-de-sac stratégique. Il n'y a pas d'issue et la réponse israélienne est sans doute imminente", conclut-il.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Tristan Hertig

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