Annoncé il y a deux ans par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak et présenté comme une mesure-phare de sa politique de lutte contre l'immigration clandestine, ce projet vise à envoyer au Rwanda les demandeurs d'asile - d'où qu'ils viennent - entrés illégalement au Royaume-Uni, notamment en traversant la Manche sur des canots pneumatiques.
Adossé à un nouveau traité entre Londres et Kigali qui prévoit le versement de sommes substantielles au Rwanda en échange de l'accueil des migrants, le texte débattu lundi au Parlement visait à répondre aux conclusions de la Cour suprême, qui avait jugé le projet initial illégal en novembre dernier.
"Pays tiers sûr"
Le texte définit notamment le Rwanda comme un pays tiers sûr. Or si le Rwanda se présente comme l'un des pays les plus stables du continent africain, son président Paul Kagame est accusé de gouverner dans un climat de peur, étouffant la dissidence et la liberté d'expression.
La chambre des Lords, où les conservateurs n'ont pas la majorité, a retardé l'adoption définitive du texte en le renvoyant sans cesse à la chambre des Communes avec des amendements, lesquels étaient à leur tour systématiquement rejetés par les députés. Une manoeuvre dilatoire connue sous le nom de "ping-pong parlementaire".
Au final, la chambre haute, dont les membres ne sont pas élus, a décidé se plier à la volonté de la chambre des Communes désignée au suffrage universel, et a décidé de ne plus amender le texte, garantissant son entrée en vigueur. Plus tôt lundi, Rishi Sunak avait assuré que son gouvernement était "prêt" à expulser des demandeurs d'asile vers le Rwanda d'ici 10 à 12 semaines, une fois la loi adoptée.
Nombreuses critiques
Le projet de loi du gouvernement est fortement critiqué par l'opposition travailliste, des associations d'aides au migrants, le chef de l'Eglise anglicane et jusqu'au Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Volker Türk, qui a estimé qu'il va "à l'encontre des principes fondamentaux des droits humains".
L'ONU a également demandé mardi à Londres de "reconsidérer son plan", dénonçant des lois britanniques "de plus en plus restrictives qui ont érodé l'accès à la protection des réfugiés" depuis 2022. Le commissaire du Conseil de l'Europe pour les droits de l'homme, Michael O'Flaherty, a qualifié pour sa part cette loi d'"atteinte à l'indépendance de la justice".
"Honte nationale"
Les associations de défense des droits humains, opposées de longue date à ce projet, ont également vivement critiqué le vote. C'est une "honte nationale", a notamment réagi dans un communiqué Sacha Deshmukh, à la tête d'Amnesty International au Royaume-Uni, ajoutant que la décision "laissera une tache sur la réputation morale de ce pays". Dans un communiqué commun, Amnesty, Freedom from Torture et Liberty, estiment que le texte constitue "une menace significative pour l'Etat de droit".
De son côté, Kigali s'est dit "satisfait", la porte-parole du gouvernement rwandais Yolande Makolo ajoutant que les autorités étaient "impatientes d'accueillir les personnes relocalisées au Rwanda".
agences/br/lia
Enjeu électoral
L'enjeu est aussi électoral pour le Premier ministre Rishi Sunak, au pouvoir depuis 18 mois, alors que les conservateurs sont donnés largement perdants des élections législatives qui se profilent. "Nous sommes prêts (...), ces vols décolleront, quoi qu'il arrive", a martelé le Premier ministre lors d'une conférence de presse.
Le gouvernement a mobilisé des centaines de personnels, notamment des juges, pour traiter rapidement les éventuels recours des migrants illégaux, et débloqué 2200 places en détention pour eux en attendant que leurs cas soient étudiés. Des "avions charter" ont été réservés, a ajouté Rishi Sunak, alors que selon des médias le gouvernement a peiné à convaincre des compagnies aériennes de contribuer aux expulsions.
Après avoir atteint un record en 2022 (45'000), puis baissé en 2023 (près de 30'000), le nombre de personnes ayant traversé clandestinement la Manche à bord de canots de fortune a augmenté de plus de 20% depuis le début de l'année par rapport à l'an dernier.