Au bout d'un chemin de terre sur les hauteurs de Málaga, le soleil se couche sur la Costa del Sol. Il est 17h45, les chèvres d'Antonio Rodriguez s'alignent, prêtes pour la traite.
Responsable syndical COAG pour une partie des éleveurs, Antonio Rodriguez est lui aussi descendu dans la rue pour faire entendre le ras-le bol du monde rural. "On nous paie entre 1.10 et 1.15 euro par litre de lait de chèvre. Mais nos coûts de production ont tellement augmenté, qu'ils atteignent aujourd'hui 1.10 euro par litre. Les céréales sont devenues très chères, l'énergie aussi, et si on ajoute le conflit en Ukraine et la grande sécheresse, on n'y arrive pas. Et vous avez l'industrie qui réfléchit à baisser encore les prix."
S'ils ne tiennent pas compte du coût de production, je n'ai plus qu'à prendre ma retraite
La guerre des agrumes
Et l'élevage n'est pas la seule filière concernée par la crise agricole. Sur la côte, dans la province de Málaga, les citrons de Juan Bedoya, pourrissent sur les arbres. "Au mois de novembre, l'Union Européenne a augmenté ses importations d'Afrique du Sud de 50%, et de 14% depuis la Turquie."
"Et cette année, il y a eu beaucoup de citrons, malgré le manque d’eau. Donc la moitié de la production espagnole va rester sur les arbres. Parce qu'on ne peut pas concurrencer les prix des pays tiers, ça nous coûte entre 30 et 35 centimes de cultiver un kilo de citrons. Et ceux des Turcs, tout empaquetés et calibrés, se vendent à 36 centimes".
Pour Juan Bedoya, cette concurrence, c'est la faute de Bruxelles qui a signé ses accords de libre-échange avec des pays tiers.
Agrumes et olives manquent d'eau
Si la concurrence est rude, les conditions climatiques le sont également, la pluie manque dans la région. Le 9 février, la province de Málaga a même décrété l'état d'urgence hydrique et demandé à la population de limiter sa consommation d'eau.
Au Nord de Málaga, à Cartaojal, Baldomero Bellido possède près de 200 hectares d'oliviers. Des arbres qui souffrent déjà du manque d'eau. "Si on creuse sur 30 ou 40 centimètres, il n'y a presque pas d'humidité " explique le producteur pour qui se scénario se répète depuis cinq ans. "Si le printemps n'est pas suffisamment pluvieux, les oliviers vont passer un mauvais moment, beaucoup sont sur le point de s'assécher". En raison du manque d'eau, en 2023, la production d'olives a diminué de 55% en Espagne.
Mais ce qui a poussé Baldomero Bellido à descendre dans la rue, c'est la manière dont l'Union Européenne gère ces problématiques climatiques avec des normes parfois incohérentes : "La politique agricole est faite sans nous. Nous sommes très déçus. Les élections européennes approchent et les politiques deviennent nerveux car ils voient qu'ils se sont trompés. Ils nous obligent à des pratiques qui n'ont aucune logique".
Quel avenir ?
Président d'Asaja, l'un des syndicats agricoles à Málaga, Baldomero Bellido entend poursuivre la mobilisation pour se faire entendre et ne pas disparaître. "Quand on a autant d'obstacles, de difficultés, quand on est autant attaqué par les politiques agricoles, les jeunes se découragent et se tournent vers d'autres secteurs. C'est un énorme problème, car la population vieillit. Ni mon fils, ni mon neveu ne va continuer dans l'agriculture. C'est très triste, c'est un patrimoine qui se meurt. Et ce désenchantement, il existe dans de nombreuses familles d'agriculteurs."
Cédric Guigon / Valérie Demon
web: Katia Bitsch