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Anna Colin Lebedev: "Il y a un jeu politique en Russie rendu invisible par l'omniprésence de Vladimir Poutine"

Selon Anna Colin Lebedev, "il y a un jeu politique en Russie rendu invisible par l'omniprésence de Vladimir Poutine". [RTS]
«Les Russes savent très bien mettre en œuvre des stratégies de résistance»: interview d’Anna Colin Lebedev / Tout un monde / 9 min. / le 7 mars 2024
Bien qu'invisibilisée par la figure du président Vladimir Poutine, la classe politique est bien installée en Russie, tant à l'échelle nationale que régionale, selon la politologue Anna Colin Lebedev, interrogée dans Tout un monde.

En Russie, malgré la figure omniprésente de Vladimir Poutine qui pourrait faire croire qu'un très petit comité détient le pouvoir, il existe bel et bien une classe politique forte derrière le président russe, selon Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférence à l'Université Paris Nanterre et spécialiste des sociétés post-soviétiques.

"L'une des forces du régime poutinien a été précisément d'éviter l'émergence de grandes personnalités qui pourraient le contester, au profit de technocrates gris. Derrière [Vladimir Poutine], il y a une classe politique au niveau national à Moscou, mais également au niveau régional. La Russie est un pays de 140 millions d'habitants et onze fuseaux horaires, on ne peut pas les réduire à un petit groupuscule au sommet de l'Etat au Kremlin", analyse-t-elle jeudi dans l'émission Tout un monde de la RTS.

Un jeu politique bien présent

Si ces hommes et femmes politiques s'inscrivent bien dans le système russe, ils n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts et préoccupations que Vladimir Poutine, souligne la politologue. "Tous cherchent à conserver ce qui existait au sein du système avant la guerre, [notamment] leur accès au pouvoir et aux ressources économiques. Mais la guerre a énormément perturbé la classe politique russe. On peut donc dire qu'il existe pour l'heure un petit cercle très impliqué dans la guerre en Ukraine, qui cherche véritablement à la gagner", nuance la politologue.

En réalité, les Russes sont extrêmement actifs dans des stratégies pour échapper à l'État, pour se mettre à l'abri et pour contourner les ordres et la propagande

Anna Colin Lebedev

"Ce qui compte en réalité pour beaucoup de gens dans la classe politique, c'est leur capacité à faire carrière, à assurer un avenir à leur famille et à gagner du pouvoir. Il y a donc tout un jeu politique en Russie, rendu invisible par l'omniprésence de Vladimir Poutine, mais qui sera évident au moment où, pour une raison ou une autre, [le président] ne sera plus dans le jeu", ajoute la chercheuse.

Des stratégies de résistance

A l'approche de l'élection présidentielle russe qui se tiendra du 15 au 17 mars prochain, l'issue du scrutin ne fait plus aucun doute et devrait voir Vladimir Poutine être réélu. Le pouvoir en place s'attèle à lisser son image et présente la campagne électorale "comme une formalité", en plus de museler tout signe d'opposition.

Mais s'il n'est pas forcément visible, le mécontentement n'a pas pour autant totalement disparu parmi la population, rappelle Anna Colin Lebedev. "Rien ne se passe à nos yeux parce que nous ne savons regarder que les manifestations de rue et ce qui se passe dans l'espace public. En réalité, les Russes sont extrêmement actifs dans des stratégies pour échapper à l'État, pour se mettre à l'abri et pour contourner les ordres et la propagande. Ce sont des stratégies de résistance qu'ils savent très bien mettre en oeuvre, car ils le font depuis l'époque soviétique", détaille la spécialiste.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/iar

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