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Après les pays arabes, l'Europe va-t-elle renouer avec le régime syrien?

Le Président syrien Bashar al-Assad. [Keystone - EPA/SANA HANDOUT]
Va-t-on vers une normalisation des relations italiennes avec le régime de Bachar Al-Assad? / Tout un monde / 7 min. / le 21 août 2024
Se dirige-t-on vers une normalisation des relations avec le régime de Bachar al-Assad, isolé depuis la révolution syrienne de 2011 et la guerre civile avec la répression brutale de sa population qui ont suivi? Après le rapprochement de certains pays arabes, marquant le retour en 2023 de la Syrie dans la Ligue arabe, plusieurs pays européens, dont l'Italie, envisagent à leur tour de renouer des relations diplomatiques avec Damas.

L'Italie a annoncé l'envoi d'un chef de mission permanent, une première depuis 2012. Cette décision de Rome n'est pas anodine. En rétablissant une présence diplomatique à Damas, l'Italie rouvre un dossier sensible au sein de l'Union européenne.

Michel Duclos, ancien diplomate français et conseiller spécial à l'Institut Montaigne, rappelle que certains pays européens n'ont jamais totalement coupé les liens avec la Syrie, comme la Bulgarie ou la Grèce.

"D'autres, comme l'Espagne, envoient occasionnellement des missions diplomatiques depuis leur poste au Liban. Toutefois, plusieurs Etats, dont la France, le Royaume-Uni et les pays scandinaves, ont rompu tout contact diplomatique avec Damas", explique Michel Duclos, mercredi dans l'émission Tout un monde. "Cependant, pour de nombreux autres pays, les positions sont plus nuancées. A Bruxelles, le sentiment général est qu'on tourne en rond et que la politique de boycott a fait son temps."

A la mi-juillet, huit pays de l'Union européenne (UE), parmi lesquels l'Autriche, l'Italie, la Grèce, Chypre et la République tchèque, ont adressé une lettre à Bruxelles pour demander une révision de la stratégie européenne à l'égard de la Syrie. Actuellement, cette stratégie repose sur trois piliers: le refus de lever les sanctions, de normaliser les relations et de fournir une aide à la reconstruction du pays.

Maria Luisa Fantappie, responsable du programme Méditerranée, Moyen-Orient et Afrique à l'Institut des affaires internationales de Rome, souligne que cette stratégie, adoptée en 2017, "conditionnait les aides à des progrès dans la transition politique syrienne" - des progrès qui n'ont jamais eu lieu.

Changement de stratégie

Partant de l'idée que cette politique n'a pas fonctionné, certains pays européens plaident pour un changement de stratégie, notamment en raison du durcissement de leurs politiques migratoires.

En effet, ils espèrent que la normalisation des relations avec Damas puisse faciliter le retour des réfugiés syriens. C'est également l'un des arguments du gouvernement de Giorgia Meloni en Italie - bien que cet aspect semble avant tout électoraliste, les réfugiés arrivant en Italie étant principalement originaires d'Afrique, plutôt que du Moyen-Orient.

Maria Luisa Fantappie considère que la décision de l'Italie de rétablir une mission diplomatique à Damas s'explique aussi par des ambitions politiques. Le gouvernement Meloni cherche à renforcer le rôle de l'Italie au Moyen-Orient, affirmant ne pas vouloir laisser la région à la seule influence de la Russie. Toutefois, la capacité de l'Italie à jouer un rôle significatif reste limitée, comme l'ont montré les crises israélo-palestinienne et libanaise, estime Maria Luisa Fantappie.

Question des réfugiés syriens

Plusieurs pays arabes ont récemment normalisé leurs relations avec le régime syrien, espérant résoudre la question des réfugiés syriens, mais avec peu de succès.

Salam Kawakibi, directeur du Centre arabe de recherches et d'études politiques à Paris et opposant au régime Assad, estime qu'il est illusoire de penser que la normalisation des relations avec Damas facilitera le retour des exilés. "Assad a lui-même affirmé qu'après le départ de millions de Syriens, la Syrie était désormais une société 'homogène', une déclaration qui montre clairement qu'il n'a aucun intérêt à voir ces réfugiés revenir", explique-t-il.

Steven Heydemann, directeur du programme Moyen-Orient à l'Université Smith College aux Etats-Unis, rappelle que les réfugiés renvoyés en Syrie étaient souvent victimes de mauvais traitements, de détentions arbitraires, voire de tortures.

Les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Damas espéraient des progrès sur trois fronts: la lutte contre le trafic de stupéfiants orchestré par le régime, la gestion de la crise des réfugiés et la limitation de l'influence iranienne en Syrie. Cependant, Bachar al-Assad n'a pris aucune mesure significative dans ces domaines, affirme Steven Heydemann.

Une approche bilatérale

Malgré ces échecs, certains Etats pensent que si le cadre multilatéral n'a pas permis d'obtenir des concessions de Bachar al-Assad, une approche bilatérale pourrait être plus efficace, en normalisant les relations sur la base d'intérêts mutuels.

Un exemple surprenant est celui de la Turquie, longtemps opposée au régime syrien, mais qui a montré des signes d'ouverture récemment, en partie pour apaiser les tensions internes liées à la question des réfugiés syriens, mais aussi pour tenter de forger une alliance avec Damas contre les Kurdes de Syrie.

Salam Kawakibi, lui, plaide pour le maintien par l'Europe d'une position ferme envers le régime syrien, notamment par le biais de poursuites judiciaires contre les dignitaires du régime, responsables de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre.

Bien que certains Etats européens semblent divisés sur la stratégie à adopter, Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, exclut pour l'instant tout changement de politique commune à l'égard de la Syrie.

Isabelle Cornaz/vajo

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