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"Au Pakistan, s’opposer à l’armée c’est risquer de mettre fin à sa carrière politique"

Geopolitis
Pakistan, la tutelle militaire / Geopolitis / 26 min. / le 4 février 2024
A quelques jours des élections, l’ancien Premier ministre Imran Khan a été condamné à de la prison, notamment pour corruption. Enlisé dans une situation politique instable, le Pakistan affronte également une crise économique et sociale catastrophique.

Destitué en 2022 puis incarcéré depuis août dernier, l’ex-Premier ministre pakistanais Imran Khan a été condamné cette semaine à quatorze ans de prison pour corruption. Un jugement prononcé au lendemain de sa condamnation à dix ans d’emprisonnement pour divulgation de documents classifiés.

"Imran Khan a été le favori de l'armée en 2018 quand il a accédé au poste de Premier ministre. Mais par la suite, il s'est mis à dos l'armée, notamment à l’automne 2021 lorsqu'il a voulu imposer son homme à la tête des services de renseignements pakistanais contre la volonté du chef des forces armées pakistanaises de l'époque", précise Gilles Boquérat dans l’émission Géopolitis.

"Au Pakistan, s'opposer à l'armée n’est pas sans danger et le risque de mettre fin à sa carrière politique est réelle", estime ce spécialiste de l’Asie du Sud, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Imran Khan, star du cricket dans les années 1990 et homme politique très populaire, n’a cessé de crier au scandale et à l’injustice, dénonçant une attaque contre les droits démocratiques.

L’armée, faiseuse de rois

L'armée pakistanaise, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant plus de 30 ans, continue d’exercer une influence politique considérable. Ses ressources sont spectaculaires: en 2022, elle disposait d’un budget de plus de 10 milliards de dollars, soit près de 18% des dépenses du gouvernement.

Le favori de ces élections, qui se dérouleront le 8 février, est la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif. Celui-ci a été trois fois chef du gouvernement sans jamais achever aucun de ses mandats. Lui aussi a été accusé de corruption et a eu des déboires avec l’armée: "Il a commencé sa carrière en 1990, lorsque l'armée l’a mis en avant pour écarter du pouvoir Benazir Bhutto.

En 1999, il a été écarté par un coup d'Etat militaire. Puis en 2017, alors qu’il était Premier ministre, l'armée a fait en sorte qu'il ne puisse pas se représenter aux élections de 2018, notamment parce que Nawaz Sharif avait trouvé que le poids et l'emprise de l'armée sur la vie politique pakistanaise étaient un peu trop importants", explique Gilles Boquérat, avant d’ajouter : "Et là, on voit effectivement une situation dans laquelle l'armée semble vouloir favoriser le retour au pouvoir de Nawaz Sharif, après avoir certainement passé un accord avec lui."

Marasme économique

Inflation galopante, roupie sans cesse dépréciée, déficit commercial, une dette de plus de 120 milliards de dollars: le Pakistan traverse également une grave crise économique.

Menacé de défaut de paiement sur sa dette, le pays a finalement obtenu un prêt de trois milliards de dollars du Fonds monétaire international en 2023, sous condition notamment de cesser le subventionnement du secteur énergétique. De nombreuses usines ont dû fermer dans le sillage d’une hausse des prix de l’énergie et d’un ralentissement de la consommation mondiale. L’industrie textile pakistanaise, qui représente environ 60% des exportations du pays, est asphyxiée.

Le Pakistan est très dépendant de l’extérieur en matière de financement, notamment de la Chine. Les deux pays sont liés par un accord de libre-échange, mais aussi par les Routes de la soie - grand plan chinois destiné à relier l’Asie à l’Europe et à l’Afrique.

La Chine, un partenaire privilégié

Les relations formelles entre le Pakistan et la Chine débutent en 1950. "L'amitié, selon la formule consacrée, 'plus haute que l'Himalaya et plus profonde que l'océan Indien', s'est bâtie sur l'hostilité de Pékin et d'Islamabad vis-à-vis de l'Inde. Pour les Pakistanais, le soutien chinois est vécu comme une façon de rééquilibrer un rapport de force avec New Delhi", estime Gilles Boquérat.

Le couloir économique prévu entre la Chine et le Pakistan. [RTS - Geopolitis]
Le couloir économique prévu entre la Chine et le Pakistan. [RTS - Geopolitis]

Lancé en 2013, le corridor économique Chine-Pakistan (CEPC) a permis d’injecter des milliards de dollars dans des projets colossaux de transport, d’énergie et autres infrastructures entre les deux pays qui partagent près de 600 km de frontières. Il permet de relier le Xinjiang chinois au port de Gwadar, troisième port pakistanais qui se trouve au sud du Baloutchistan, en passant par le Cachemire pakistanais revendiqué par l’Inde. Mais le projet a dû affronter les difficultés du Pakistan à respecter ses obligations financières et à faire face à des attaques contre des cibles chinoises.

Climat: la double peine

Alors que le Pakistan est responsable de moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il subit de plein fouet des phénomènes climatiques extrêmes. En 2022, près d’un tiers du Pakistan est noyé par des inondations dévastatrices provoquées par des pluies torrentielles et crues soudaines. Trente-trois millions de personnes ont été touchées (soit 1 habitant sur 7), plus de 1700 personnes sont décédées, dont un tiers d’enfants, et 7,9 millions d’habitants ont été déplacés. Les précipitations intenses, la fonte des glaciers, mais aussi la déforestation et des infrastructures mal conçues ont accentué le risque d’inondations.

Les zones touchées par les inondations de 2022 au Pakistan. [RTS - Géopolitis]
Les zones touchées par les inondations de 2022 au Pakistan. [RTS - Géopolitis]

Riz, coton, blé, fruits…  de nombreuses récoltes ont été détruites, alors que l'agriculture est un pilier de l'économie nationale, comptant pour près de 20% de son PIB et 40% de sa main-d'œuvre. Globalement, les dégâts ont été estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Une vulnérabilité aux effets du changement climatique qui fragilise encore un pays déjà en proie à une crise politique, économique et sociale. Au niveau mondial, il est le huitième pays le plus vulnérable face à ces risques, selon Germanwatch.

>> Lire aussi : Au Pakistan, Antonio Guterres dit n'avoir "jamais vu un tel carnage climatique"

Natalie Bougeard

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