Au nord, à l'est et peut-être bientôt au sud. Sur la quasi-totalité des lignes de front en Ukraine, mais aussi dans la région russe de Koursk, les troupes russes avancent.
A cela s'est ajoutée dans la nuit de samedi à dimanche une attaque aérienne combinée de plus de 200 drones et missiles visant les infrastructures énergétiques sur l'ensemble du territoire. Si la défense aérienne ukrainienne semble avoir réussi à limiter au maximum les dégâts, ces frappes russes pourraient n'être que le début d'une nouvelle campagne de bombardements massifs, au moment où l'hiver s'installe dans le pays.
Souffrant toujours d'un manque de main-d'œuvre et d'armes et d'un nombre de munitions encore bien inférieures à celles de la Russie, l'armée ukrainienne ne parvient pas à enrayer la machine de guerre russe. Pire, Moscou avance plus vite qu'auparavant. Ainsi, la Russie a annoncé avoir conquis 478 km2 de territoire durant le seul mois d'octobre, un record depuis mars 2022. Et depuis début 2024, la Russie s'est emparée de 2260 km2, contre seulement 478 km2 pour toute l'année 2023.
Un grignotage sur toutes les lignes de front
Dans le détail, les forces armées russes connaissent des avancées partout sur les lignes de front. Dans l'oblast russe de Koursk, que les Ukrainiens continuent à contrôler en partie depuis leur incursion du mois d'août 2024, la Russie progresse dans le principal saillant de la région. Selon des responsables américains, une force de 50'000 hommes, dont près de 10'000 Nord-Coréens, est massée dans cet oblast, en prévision d'une contre-offensive majeure visant à chasser les Ukrainiens du territoire russe. Autorisée finalement par Washington, l'utilisation de missiles ATACMS pourrait rééquilibrer les forces, mais sans doute de manière insuffisante (voir encadré).
Dans l'oblast de Kharkiv (nord-est), les attaques russes continuent au nord-est de la capitale régionale, près des villages de Vysoka et Yaruha. Lundi, un haut gradé des forces armées de Kharkiv a rapporté que le nombre de frappes aériennes russes sur des positions ukrainiennes avaient sensiblement augmenté dans l'oblast.
A l'est de la ville de Kharkiv, les troupes russes ont également lancé la semaine dernière une attaque majeure contre la ville de Koupiansk, véritable nœud ferroviaire qui relie plusieurs zones industrielles et centre logistiques d'importance. Des forces russes ont ainsi brièvement pénétré dans les faubourgs de cette ville du nord-est de l'Ukraine, une première depuis que l'armée russe y a été mise en déroute en 2022.
Dans l'oblast de Donetsk, après s'être emparé début octobre de la ville de Vouhledar, les forces du Kremlin fondent sur la ville de Kurakhove, située à une trentaine de kilomètres de Pokrovsk, un nœud logistique extrêmement précieux pour l'armée ukrainienne dans le Donbass.
>> Relire à ce sujet pour mieux comprendre l'importance stratégique de la ville de Pokrovsk : A Pokrovsk, le risque d'un désastre opérationnel pour l'armée ukrainienne
Plus au nord, la situation se complique également pour l'Ukraine à Tchassiv Yar, l'un des derniers bastions de Kiev dans la région. "Les Russes avancent dans la zone centrale de la ville et combattent dans la zone des jardins communaux. Ils ont presque comblé l'écart d'altitude (avec les défenseurs ukrainiens, ndlr), relate dans une publication sur X "Majakovsk", un observateur italien spécialisé dans la recherche en sources ouvertes.
>> Relire également : Les forces russes aux portes des derniers bastions du Donbass en Ukraine
Concernant l'oblast de Lougansk, l'Institute for the Study of War (ISW), un centre d'analyses basé aux Etats-Unis, explique dans sa note du 19 novembre que les forces russes ont récemment avancé à l'ouest de la ville de Kreminna, en direction de Koupiansk. Pour rappel, les troupes du Kremlin contrôlent déjà 98% de cette région.
Enfin, dans l'oblast de Zaporijjia (sud-est), le commandement militaire ukrainien a annoncé la semaine dernière que la Russie avait récemment renforcé son contingent militaire et intensifié ses bombardements en prévision d'un assaut.
Interrogés par le Washington Post, plusieurs soldats et haut gradés ukrainiens ont confirmé cet état de fait. "Après une longue période d'échanges et de micro-avancées, au cours de laquelle les deux camps se battaient pour le contrôle d'une position spécifique, on se rend de plus en plus compte que la Russie prépare actuellement une attaque majeure", témoigne ainsi Yaroslav Galas, major de la 128e brigade d'assaut de montagne ukrainienne, qui est déployée sur le front de Zaporijjia.
Une offensive russe d'envergure dans la région pourrait toutefois ici se heurter à une défense mieux préparée. Sur le front de Zaporijjia, les fortifications ukrainiennes sont en effet plus denses et accompagnés de champs de mines qui pourraient se révéler être un obstacle redoutable pour l'envahisseur.
De faibles gains et des coûts considérables
Mais si la Russie continue ses avancées sur le front ukrainien à un rythme plus rapide que l'année dernière, la vitesse des conquêtes reste extrêmement lente. Interrogé par CNN, George Barros, directeur des programmes Russie et renseignement géospatial à l'ISW, estime que Moscou peine beaucoup à atteindre ces objectifs déclarés, comme à Pokrovsk.
"Ils souhaitaient prendre la ville cet automne, mais ils ont dû abandonner provisoirement cet objectif opérationnel et ont commencé à attaquer dans une direction différente (...) ce n'est pas seulement un échec des Russes, mais aussi le fruit d'une défense ukrainienne solide, détaille-t-il.
Depuis la prise de la ville d'Avdiivka, située à 60 kilomètres à l'est de Pokrovsk, les forces russes n'ont pu avancer que de 30 à 40 kilomètres. Une progression faible, surtout compte tenu des pertes pour l'armée russe dans la région au cours de l'année écoulée, que l'ISW estime être à au moins cinq divisions blindées, soit plusieurs centaines de chars et transporteurs de troupes blindées.
"Perdre l'équivalent de cinq divisions de tanks et d'autres véhicules blindés en l'espace d'un an pour ne progresser que de 40 kilomètres, vous pouvez comparer cela à toutes les autres grandes offensives mécanisées du XXIe siècle et même aux grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale, c'est en fait une performance vraiment terrible", juge George Barros.
Pour cet expert, les défis logistiques et humains s'accumulent donc aussi pour le Kremlin, au moment même où l'économie souffre de surchauffe, avec une inflation élevée et des pénuries avérées de main-d'œuvre.
Des garanties de sécurité avant tout
Si tous les voyants ne sont donc pas au rouge pour l'Ukraine, le pays semble toutefois se préparer de plus en plus à l'éventualité de devoir céder du territoire. Derrière les discours combatifs du président Volodymyr Zelensky, de nombreux officiels estiment désormais que la priorité numéro une est l'obtention de garanties de sécurité.
"Les négociations doivent être fondées sur des garanties. Pour l'Ukraine, rien n'est plus important", a ainsi commenté récemment auprès du New York Times Roman Kostenko, président de la commission de la défense et du renseignement au Parlement ukrainien. S'exprimant sous couvert d'anonymat auprès du grand journal américain, un autre responsable ukrainien a confirmé que bien que restant "extrêmement importante", la question territoriale était désormais la deuxième question, derrière les garanties de sécurité.
Au sein de l'opinion publique également, la possibilité de devoir céder du territoire pour arrêter les combats progresse. Un sondage réalisé en octobre par l'Institut international de sociologie de Kiev a ainsi montré que 32% des Ukrainiens seraient favorables à un tel accord, contre 19% l'année dernière.
L'incertitude Donald Trump
À l'heure actuelle, l'Ukraine reste dans une situation difficile, mais l'avenir du conflit dépend largement des décisions prises aux États-Unis. Le président élu Donald Trump a promis de mettre fin rapidement à la guerre, mais ses intentions demeurent floues. Son approche pourrait inclure une réduction de l'aide militaire à l'Ukraine, voire des concessions territoriales à la Russie, comme l'a déjà suggéré son colistier et futur vice-président J.D. Vance.
D'autres indices permettent de penser que les Etats-Unis iront dans la direction d'une baisse de l'aide militaire à Kiev. Ainsi, Donald Trump Jr, fils du nouveau président élu, a récemment publié une story sur Instagram qui montre une photo de Volodymyr Zelensky et qui ironise sur le fait qu'il "se trouve à 38 jours de perdre son argent de poche".
Dans la même veine, le milliardaire Elon Musk, nommé récemment à la tête d'un futur "ministère de l'efficacité gouvernementale", s'est aussi moqué du président Zelensky sur X. Ce dernier a affirmé l’indépendance de son pays vis-à-vis de Washington dans une interview radio, déclarant que les États-Unis ne pouvaient pas forcer l’Ukraine à "s’asseoir et discuter" à la table des négociations. "Son sens de l’humour est incroyable", a répliqué le patron de Tesla et SpaceX, en appuyant son tweet d’un emoji hilare.
Mais si ces commentaires semblent être de mauvais présages pour Kiev, d'autres réactions entretiennent le flou sur la politique que mènera Donald Trump au sujet de l'Ukraine. Après avoir discuté avec le républicain, le chancelier allemand Olaf Scholz a par exemple estimé qu'il "avait une position plus nuancée" sur l'Ukraine que les idées qu'on lui prête.
À la question de savoir s'il craignait un accord de paix conclu entre Trump et Poutine sans que l'Ukraine ait son mot à dire, Olaf Scholz s'est montré confiant: "rien dans la conversation ne laissait penser cela".
Il est aussi à rappeler qu'en décembre 2023, le Congrès américain a voté une loi bipartisane empêchant tout président de quitter unilatéralement l’Otan, renforçant ainsi le lien entre sécurité européenne et intérêts américains. Le sénateur républicain Marco Rubio a été le co-auteur de cette initiative. Or il s’est affirmé comme un allié majeur de Donald Trump durant la campagne et deviendra secrétaire d’État dans le futur gouvernement. Il est donc à l'heure actuelle incertain de prédire que fera réellement Donald Trump sur le dossier ukrainien à son arrivée à la Maison Blanche.
Tristan Hertig
Missiles ATACMS: une autorisation américaine tardive
Après de longs mois d'hésitation, Washington a donné dimanche l'autorisation à l'Ukraine de frapper le territoire russe avec des missiles à longue portée fournis par les Etats-Unis.
Dans le détail, Kiev devrait pouvoir utiliser les ATACMS, des missiles semi-balistiques américains, exclusivement dans la région russe de Koursk dans un premier temps. Une région occupée en partie par les troupes ukrainiennes et que Moscou tente de reprendre, avec l'appui de soldats nord-coréens.
Des Russes préparés
Attendue depuis longtemps par les autorités ukrainiennes, cette autorisation arrive toutefois sans doute trop tard pour avoir un impact significatif sur le conflit. Les forces russes ont en effet déjà pu se préparer en partie à cette éventualité.
"La Russie s'est déjà adaptée. Les ATACMS sont utilisés depuis deux ans en Ukraine dans les territoires occupés (...) l'armée russe a appris à déplacer ses stocks, à assurer la redondance de ses postes de commandement ou à faire du leurrage", explique une source militaire au Figaro, ajoutant que de nombreux avions ont également déjà été restationnés plus en profondeur dans le territoire russe.
A l'aide de données satellites, Frontelligence Insight démontre de son côté que des travaux de renforcement de la base aérienne de Koursk ont déjà été faits et que d'autres se poursuivent. Pour cette organisation spécialisée dans le conflit ukrainien et la recherche en sources ouvertes, Kiev devra donc être particulièrement parcimonieuse dans l'usage de ses missiles, qui peuvent, dans leur version la plus performante, avoir une portée de 300 km.
"Face au risque de voir les livraisons futures de missiles ATACMS en provenance des États-Unis être interrompues dans un futur proche, l'Ukraine doit faire preuve de beaucoup de prudence dans le choix de ses cibles et dans le calendrier de ses opérations. Dans les zones dotées d'une défense aérienne importante, plusieurs lancements de missiles peuvent par exemple être nécessaires pour réussir quelques frappes, ce que l'Ukraine ne peut pas se permettre", explique l'organisation sur X.