Sur le campus universitaire de Corte, les promesses d'ouverture d'Emmanuel Macron ne semblent pas convaincre ces deux étudiantes: "C'est juste pour nous calmer, parce qu'on a quand même brûlé l'île pendant des jours, mais ça ne veut pas dire qu'il va accepter nos propositions". Elles aussi ont pris part aux manifestations estudiantines, en mars 2022, après la mort de l'indépendantiste Yvan Colonna, tué par un codétenu en prison. Car l'autonomie de la Corse, elles en rêvent: "Ce que l'on veut, c'est un statut de résident, ça permettrait aux Corses d'avoir plus de droits sur leur territoire, par rapport au logement, à la question des résidences secondaires".
L'accès au logement, c'est l'une des préoccupations sur l'île: "On en a assez des Français du continent qui viennent et qui nous volent nos maisons. Dans certains villages, il n'y a plus que des résidences secondaires et nous, les Corses, on ne peut plus se loger", explique la jeune militante pour qui la lutte armée est une nécessité.
Quelle autonomie?
Le parti autonomiste Femu a Corsica, le premier parti de l'île, privilégie en revanche la voix du dialogue. Depuis un an, les militants parcourent les villes et villages pour présenter leur projet à la population. François Martinetti est le premier secrétaire du parti: "on pourrait avoir nos propres politiques publiques, dans le domaine du tourisme ou de la santé ou pour éviter la spéculation immobilière". Le parti aimerait fixer ses propres lois dans certains domaines et faire de la langue corse une langue officielle. Mais, pour cela, il faudra parvenir à un consensus politique. De son côté, la droite appelle à la plus grande prudence.
La maire du petit village de Taglio Isolaccio, Marie-Thérèse Mariotti, estime que le processus d'autonomie doit être accompagné de garde-fous pour garantir la viabilité économique. "Nous sommes la région la plus pauvre de France et notre économie dépend beaucoup de la solidarité nationale", explique l'élue de droite . "Aujourd'hui, donner aux Corses la possibilité de faire leurs lois, sans contrôle et sans filet, c'est dangereux, car on n'est pas à l'abri d'appétit mafieux. Il faut être certain d'avoir le soutien de l'Etat régalien."
L'épineuse question de la langue
Sur l'île, 40% de la population parle corse. L'une des revendications des autonomistes, c'est la reconnaissance du corse comme langue officielle. Une ligne rouge pour Emmanuel Macron, qui craint de voir les francophones discriminés à l'embauche. "Longtemps, les Corses n'avaient pas le droit de parler leur langue, et au-delà de ça, on est plus dans une démarche de réappropriation culturelle", explique Anna Catalina Santucci, coordinatrice des écoles du réseau Scola Corsa, des écoles en langue corse. "On enseigne aussi les traditions, les instruments de musique, les chants et les danses traditionnelles. Ce sont des choses qui font partie de notre identité et qui ne sont plus pratiquées que par les grands-pères et les grands-mères".
Le chemin est long et étroit, mais cap sur la démocratie et sur l'autonomie
Un long processus
Si Emmanuel Macron a ouvert la voie à une autonomie, le chemin est encore long. Le projet doit convaincre les deux Chambres, l'Assemblée et le Sénat français. Les parlementaires pourraient se montrer frileux, craignant d'éveiller d'autres aspirations autonomistes, en Bretagne ou au Pays Basque, ce qui pourrait menacer l’unité de la République. Mais pour Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif corse et ancien maire de Bastia, personne n'a intérêt à ce que le processus échoue, car "la démocratie en sortirait affaiblie".
Depuis 2 ans, la Corse connaît un regain de violence, des incendies criminels et des explosions, qui visent des résidences secondaires. Récemment, un nouveau parti a été créé, "Nazione", qui soutient la lutte armée et clandestine. Pour Marcel Simeoni, conseiller municipal à Corte, le processus d'autonomie doit aboutir : "Si on n'y arrive pas maintenant, je pense que la Corse est repartie pour des années d'errement et de guerre".
Cédric Guigon, Julie Rausis
Web: Katia Bitsch