Parmi ces nouvelles enseignes, Barnes & Noble fait renaître un lieu emblématique de Washington qui avait été remplacé il y a dix ans par un magasin de sport. A l'époque, la librairie occupait entièrement un immeuble en briques rouges de trois étages, où l'on trouvait aussi un café.
Rude concurrence d'Amazon
"Le nombre de librairies a fortement diminué ces vingt dernières années aux Etats-Unis et les petits libraires indépendants ont été frappés de plein fouet par l'arrivée des grandes chaînes comme Barnes & Noble", explique Evan Friss, professeur d'histoire et spécialiste de l'édition à la James Edison University, dans Tout un monde.
L'idée est que les librairies soient toutes différentes les unes des autres, s'adaptent aux marchés locaux et essaient de ressembler davantage à des boutiques indépendantes
Le modèle de ces chaînes consistait à vendre "beaucoup d'articles autres que des livres, toutes sortes de petits articles de bric-à-brac", et c'est ce qui leur permettait de "réussir", souligne-t-il. "Puis Amazon est arrivé et l'appétit pour Barnes & Noble a, lui aussi, diminué."
Retour aux livres depuis le Covid-19
Mais depuis la pandémie de Covid, Evan Friss a constaté le début d'un changement. "Peut-être avons-nous atteint un point de basculement, où une partie significative des acheteurs est fatiguée par les transactions en ligne."
Il constate que le nombre de lecteurs "est généralement élevé aux Etats-Unis depuis la pandémie", avec de nombreuses ventes de livres. Ainsi, "Barnes & Noble a créé de nouveaux points de vente qui ressemblent moins à des chaînes. L'idée est que les librairies soient toutes différentes les unes des autres, s'adaptent aux marchés locaux et essaient de ressembler davantage à des boutiques indépendantes", décrit le professeur.
Transformation nécessaire
Bien qu'Amazon occupe aujourd'hui 50% du marché du livre imprimé, la librairie indépendante est tendance et c'est la raison pour laquelle Barnes & Noble veut donner une saveur locale à ses points de vente: la chaîne met en avant des auteurs du cru, propose des événements littéraires et des espaces dédiés à certains types de littérature.
La librairie ne peut pas être une vitrine passive de la production (...) mais un lieu d'activité
Pour survivre, la librairie physique doit évoluer de manière générale, note Olivier Bessard-Banquy, professeur à l'Université de Bordeaux Montaigne et spécialiste de l'édition contemporaine. Elle doit être "un lieu d'activité, voire d'hyperactivité", affirme-t-il. "La librairie ne peut pas être une vitrine passive de la production telle qu'elle est proposée par les éditeurs avec une sorte de sélection un peu aveugle [...] Ce serait un lieu désincarné et plat où les gens ne trouveraient rien de plus."
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Francesca Argiroffo/juma
Le livre résiste, mais pour combien de temps?
Si les librairies résistent, les livres papier aussi: ils représentent entre 80 et 90% des ventes de livres, malgré la progression des livres numériques et audio.
Selon Magali Bigey, enseignante en sciences de l'information et de la communication à l'université de Franche-Comté, le livre physique perdure grâce aux jeunes lectrices fans de séries de romance ou de dark romance et à l'application booktok (sur TikTok et qui permet de partager ses lectures dans des vidéos à sa communauté).
Je peux vous assurer que le paysage de la lecture et de l'édition aura radicalement changé
"Ça a commencé juste après 50 Nuances de Gris il y a une dizaine d'années, qui avait amené en librairie des tas de jeunes filles qui n'y étaient jamais venues et qui ont eu envie d'y retourner [...] On est à plus 7% de ventes en France en 2023, rien que pour la romance, et le book talk n'y est pas étranger."
Crainte d'un manque de lecteurs
Mais ce genre de livres ne semble pas suffire à compenser à lui seul l'érosion des tirages. Selon les chiffres publiés par des instituts spécialisés, comme GFK et Nielsen, après le sursaut dû au Covid, les ventes de livres ont recommencé à baisser dans toutes les régions du monde. Et cela même si le chiffre d'affaires global du livre augmente avec l'inflation.
Francis Geffard, éditeur chez Albin Michel, craint que des livres ne trouvent plus de lecteurs. "Le problème auquel on est confronté maintenant, ce n'est pas tant l'existence des livres, mais l'existence des lecteurs. Je pense que petit à petit, il y a des livres qui n'auront plus de lecteurs quand on aura perdu toutes les générations qui sont nées avant 1990. Je peux vous assurer que le paysage de la lecture et de l'édition aura radicalement changé."
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