Avec le rachat d'Euronews, le Premier ministre hongrois Viktor Orban étend son empire médiatique
Le rachat d'Euronews avait été annoncé en 2022 déjà, mais une enquête du quotidien Le Monde, en collaboration avec le site d’investigation hongrois Direkt 36 et le magazine portugais Expresso, a révélé ce printemps que les fonds utilisés pour cette acquisition venaient de proches de Viktor Orban.
Si la direction d'Euronews et les représentants des nouveaux propriétaires affirment qu'il s'agit pour eux d'une affaire purement commerciale et qu'il n'y a pas d'enjeux politiques, cette implication du pouvoir hongrois soulève des interrogations sur les véritables raisons qui se cachent derrière ce rachat.
"L'un des objectifs décrits dans les documents que nous avons obtenus est d'atténuer les biais de gauche du journalisme", explique dans l'émission Tout un monde Andras Pethö, co-fondateur et rédacteur en chef de Direkt 36. "Nous savons également, d'après les documents, que sous la nouvelle propriété, Euronews pourrait devenir plus critique envers les institutions européennes."
Un empire médiatique
Cela fait plusieurs années que Viktor Orban utilise la même stratégie en Hongrie en rachetant un par un, via des oligarques qui lui sont proches, les médias de son pays. Prétextant vouloir "rééquilibrer" leur orientation politique, il les a transformés en organes de propagande.
Avec une acquisition de près de 500 médias en une décennie, le clan du Premier ministre est aujourd'hui à la tête d’un véritable empire. Ce conglomérat couvrirait près de 80% du paysage médiatique, selon l’observatoire indépendant des médias hongrois Mértek.
Au cours des dix ou quatorze dernières années, les voix indépendantes ont été réduites au silence en Hongrie
"Ce n'est pas du tout un marché sain", dénonce Agnes Urban, directrice et co-fondatrice de Mértek. "Les personnalités pro-gouvernementales sont les seules à posséder les médias. Mais ils sont fortement financés par l'Etat et les médias indépendants ne peuvent pratiquement pas obtenir de financement de l'Etat."
Les médias indépendants sont ainsi étouffés, ce qui a poussé à leur disparition ces dernières années, à l'instar de Nepszabadsag, le plus grand journal d'opposition du pays, dont la publication a été interrompue en 2016. "Au cours des dix ou quatorze dernières années, les voix indépendantes ont été réduites au silence", regrette Andras Pethö.
Afin de survivre, d'autres médias indépendants ont, eux, décidé de changer leur ligne éditoriale. C'est notamment le cas du site d’informations Origo, explique le rédacteur en chef de Direkt 36, qui affirme qu'il ne fournit désormais plus "de couverture équilibrée, juste et basée sur les faits". "Origo a survécu, mais il est méconnaissable, parce qu'il fait partie de la machine de propagande du gouvernement", déplore-t-il.
Des condamnations européennes
Ce contrôle accru du marché des médias par le pouvoir hongrois porte donc atteinte à la liberté des médias et s’inscrit contre l’Etat de droit. L'Union européenne a d'ailleurs entamé un bras de fer avec la Hongrie en condamnant ces violations. Agnes Urban souligne toutefois que l’UE a sa part de responsabilité dans ce système autocratique hongrois.
Il est très important que l'Union européenne trouve des solutions institutionnelles pour ce type de politiciens autocratiques
"Viktor Orban n’a pas pu construire ce système illibéral sans le financement continu des fonds de l'Union européenne", indique la directrice de Merték, qui précise que même si plusieurs de ces fonds ont depuis été gelés, le gouvernement hongrois ne semble pas avoir été profondément ébranlé.
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Cela démontre, selon Agnes Urban, que l’ensemble du système institutionnel de l'Union européenne n'a pas été créé pour faire face à des dérives autoritaires, précisant toutefois que le problème ne se limite pas à la Hongrie, mais s'étend à la Pologne, la Slovénie ou encore la Slovaquie. "Il est donc très important de trouver des solutions institutionnelles pour ce type de politiciens autocratiques, parce qu'il ne s'agit pas d'un problème unique", conclut-elle.
La Hongrie assurera la présidence du Conseil de l'UE pour six mois dès le 1er juillet et tant pour Agnes Urban qu’Andras Pethö, le gouvernement de Viktor Orban en profitera pour davantage s’inscrire comme un acteur incontournable au niveau européen et étendre ainsi ses ambitions illibérales.
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Sujet radio: Aleksandra Planinic
Adaptation web: Emilie Délétroz