Du 12 au 23 juin, la ville russe de Kazan, située à 720 km à l'est de Moscou sur la rive gauche de la Volga, accueille l'édition 2024 des Jeux des BRICS. A moins de deux mois des JO de Paris, ces joutes sportives annuelles verront quelque 5000 athlètes issus de 97 pays s'affronter dans plus d'une vingtaine de disciplines, allant de la natation à la boxe, en passant par les échecs et le rock acrobatique.
Derrière cette manifestation sportive dont la première édition a eu lieu à Guangzhou en Chine en 2017, il y a les pays membres des BRICS, parmi lesquels le Brésil, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud et bien sûr la Russie. Si au départ, ces grandes puissances ont décidé de s'unir autour d'intérêts économiques et politiques, l'idée d'un grand raout sportif s'est très vite imposée à elles. Et ce, à l'initiative notamment du président russe Vladimir Poutine.
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Jeux des BRICS, du Futur et de l'Amitié
Il faut dire que pour le chef du Kremlin, le sport est un "enjeu géopolitique majeur", comme l'explique mardi au micro de l'émission Tout un monde Lukas Aubin, expert de géopolitique du sport et de la Russie.
Comme à l'époque soviétique, à l'instar de Lénine et Staline, Vladimir Poutine cherche à créer des compétitions sportives parallèles
"Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine a fait du sport un instrument de légitimation de son régime à l'international." Or, depuis l'invasion de l'Ukraine, il y a plus de deux ans, la Russie est exclue d'une bonne partie des grandes compétitions de la planète, à l'image des Jeux olympiques. "De ce fait, comme à l'époque soviétique, à l'instar de Lénine et Staline, Vladimir Poutine cherche à créer des compétitions sportives parallèles", poursuit Lukas Aubin qui vient de cosigner l'ouvrage "La guerre du sport: une nouvelle géopolitique".
A noter que le Kremlin se cache derrière l'organisation d'autres manifestations du genre, avec comme objectif de tenter de maintenir son influence sur les plans sportif et géopolitique. Au mois de février dernier, la Russie avait accueilli, à Kazan déjà, les Jeux du Futur, un événement hybride mêlant disciplines sportives traditionnelles et compétitions de sports électroniques (eSport).
Et en septembre prochain, juste après les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, Moscou va également relancer les Jeux de l'Amitié, une sorte de "contre-JO" dont la première édition avait eu lieu en 1984 sous l'égide de l'Union soviétique et de huit autres Etats, soit les pays qui avaient boycotté les Jeux olympiques d'été de Los Angeles de cette année-là. A noter qu'une version hivernale des Jeux de l'Amitié est également en discussion pour 2026 à Sotchi.
Outil de "soft power"
L'idée est d'utiliser le sport comme outil de "soft power" auprès des pays occidentaux, souligne l'expert. "La Russie cherche à créer un nouvel ordre mondial qui passerait par le sport, en essayant d'attirer les pays dits du Sud, c'est-à-dire les pays d'Amérique latine, du continent africain ou encore d'Asie." En résumé, la Russie cherche à faire venir des pays non-occidentaux "pour montrer au monde qu'elle n'est pas isolée et qu'il est possible de penser le sport, et le monde de manière générale, sans l'Occident."
Les Jeux des BRICS, c'est mieux que rien, mais ça ne remplacera certainement jamais les JO. Et je crois que c'est le sentiment général qui prévaut en Russie
Quoi qu'il en soit, les Jeux des BRICS ne pourront probablement jamais rivaliser avec les Jeux olympiques, insiste Lukas Aubin, reprenant l'expression de Aleksandr Grichtchouk, un joueur d'échec russe, qui en parle comme d'une bière sans alcool. "Autrement dit, c'est mieux que rien, mais ça ne remplacera certainement jamais les JO. Et je crois que c'est le sentiment général qui prévaut en Russie." D'ailleurs, pour l'instant, seuls 70% des billets auraient trouvé preneur, révèle-t-il.
Pressions du CIO
Le Comité international olympique (CIO), de son côté, fait pression contre toutes ces manifestations sportives parallèles, les qualifiant "d'événements politiques qui mettent à mal le sport mondial tel qu'on le connaît". Il demande aux comités olympiques nationaux de tous les pays de ne pas y envoyer d'athlètes sous peine de sanctions.
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"Pour le moment, il est difficile de dire si les pressions du CIO vont fonctionner. Mais ce qu'on peut dire, c'est que les Jeux de l'Amitié qui doivent se tenir à la rentrée sont aujourd'hui en stand-by. Il y a des rumeurs selon lesquelles l'événement serait décalé d'un an, voire potentiellement annulé", note-t-il.
Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, avait notamment déclaré que le CIO était devenu néonazi et russophobe en décidant d'exclure les Russes
Concernant les JO de cet été, le Kremlin soutiendra ses quelques athlètes qui se rendront à Paris, ajoute-t-il, "sans les encourager pour autant". "C'est-à-dire que s'ils ramènent des médailles de Paris, ils seront tout de même fêtés à leur retour."
Il faut dire que les sportifs russes devront concourir sous bannière neutre, signer un document stipulant qu'ils sont contre la guerre en Ukraine et seront interdits de parader sur la Seine lors de la cérémonie d'ouverture. Ce qui n'enchante pas une partie de l'élite russe qui se sent humiliée. "Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, avait notamment déclaré que le CIO était devenu néonazi et russophobe en décidant d'exclure les Russes", conclut-il.
Propos recueillis par Isabelle Cornaz
Texte web: Fabien Grenon