Des images satellites prises ces derniers jours par la société américaine Maxar Technologies, spécialisée dans la collecte et l'analyse de données géospatiales, montrent des avions de transport lourds se préparant à recevoir du fret et des hélicoptères d'attaque démantelés sur la base russe de Hmeimim, dans l'ouest syrien, probablement avant d'être transportés.
Lundi, des convois russes ont aussi été observés traversant la route côtière vers Hmeimim, où un avion de transport lourd a décollé accompagné d'un hélicoptère d'attaque KA-52.
Vols vers la Libye
Depuis la chute du régime syrien, plusieurs médias ont révélé à l'aide de données accessibles sur Flightradar24, site spécialisé dans le trafic aérien mondial, que Moscou a intensifié ses vols militaires entre la Syrie et la Libye.
Interrogé par le New York Times, un responsable de la base aérienne libyenne d'al-Khadim a déclaré qu'une demi-douzaine d'avions cargos russes - certains venant de Russie et d'autres de Syrie - sont arrivés depuis le 8 décembre (jour de la chute de Bachar al-Assad), transportant du matériel militaire.
Des enregistrements de vol accessibles au public confirment aussi un trafic plus intense que d'habitude entre la Russie, la Biélorussie et l'est de la Libye. Au moins quatre avions cargos russes Il-76 ont effectué des vols aller-retour de Moscou ou Minsk à Benghazi. Des officiers libyens ont signalé que la base aérienne avait été informée de leur arrivée seulement après leur décollage.
Dans sa note du 19 décembre, l'Institute for the Study of War (ISW), un centre d'analyses basé aux Etats-Unis, suggère que ces mouvements indiquent des préparatifs en vue d'une réduction ou d'un retrait complet des forces russes de Syrie. Interrogé par la BBC, Tayfun Ozberk, spécialiste des questions de Défense, indique de son côté que les images satellites montrent sans doute "les premières étapes d'un retrait russe, avec des signes clairs d'une évacuation aérienne".
Cités par CNN, deux officiels américains ayant requis l'anonymat ont précisé que des mouvements similaires avaient lieu sur la base navale de Tartous. Si le gros de la flotte russe est toujours située au large de la Syrie, dans une sorte de position d'attente, des vaisseaux auraient commencé à être également déplacés vers la Libye, la Russie cherchant selon ces responsables à faire pression sur le maréchal Khalifa Haftar pour garantir un accès au port de Benghazi.
Une posture officielle encore floue
Malgré ces signes visibles, le Kremlin affirme qu'aucune décision définitive n'a été prise. "Nous devrons décider nous-mêmes de la forme que prendront nos relations avec les forces politiques qui contrôlent aujourd’hui et contrôleront à l’avenir la situation en Syrie", a ainsi déclaré jeudi le président Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse de fin d’année. "Nos intérêts doivent coïncider", a-t-il ajouté.
La Russie pourrait donc chercher à maintenir tout ou partie de ses bases syriennes, via un engagement diplomatique fort. Mais pour de nombreux experts, Moscou, qui a bombardé pendant des années les rebelles qui sont maintenant au pouvoir, dispose de peu d'atouts dans sa manche.
Les enjeux d'une présence en Libye
Perdre ses bases en Syrie représenterait un coup dur stratégique pour la Russie, car ces installations sont essentielles à sa capacité de projection en Méditerranée et en Afrique. Face à cette menace, la Libye pourrait donc devenir une alternative précieuse. Moscou pourrait compenser en partie un retrait syrien, s'assurant un point d’appui clé pour ses opérations militaires et logistiques en Afrique du Nord et au Sahel.
Les enjeux ne sont d'ailleurs ici pas seulement militaires. Il s'agit aussi pour le Kremlin de rétablir la confiance auprès de ses alliés africains. Pour les régimes soutenus par Moscou, notamment au Mali et en Centrafrique, la chute du régime syrien a en effet soulevé de nombreux doutes sur la fiabilité de la Russie. "Tout le monde se pose des questions depuis les événements en Syrie," confie ainsi un officier malien cité par Le Monde. Des incertitudes qui ajoutent une pression sur le Kremlin, déterminé à préserver un rôle de puissance incontournable dans la région.
Tristan Hertig