Tout un monde: Quelle est l'ambiance en France depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale et des législatives anticipées?
Camille Vigogne Le Coat: L'ambiance est extrêmement tendue dans le pays, qui est profondément divisé. À Paris, où le Rassemblement national (RN) reçoit peu de soutien, il y a une angoisse palpable. Après dix ans de progression électorale du RN, l'idée d'un gouvernement d'extrême droite en France dans moins de trois semaines suscite une peur quasi physique. Une partie du pays est anxieuse tandis que l'autre est plongée dans l'incertitude, se demandant ce qui va arriver. C'est un bouleversement majeur, et je n'ai jamais vu une telle crise politique en France durant mes dix ans de carrière.
Même le RN a été surpris…
Oui, dimanche soir, les cadres du RN sont restés silencieux, enfermés pour travailler sur les listes de candidats à remettre avant vendredi. Au quartier général de Marine Le Pen, ses proches étaient ravis des résultats des élections européennes avec plus de 30% des voix. Cependant, l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron a transformé leur excitation en stupéfaction. Bien que le RN soit favori pour les élections, il ressent l'angoisse d'être prêt pour une élection cruciale et celle de l'exercice du pouvoir, un domaine où il n'a jamais eu d'expérience, gérant actuellement seulement quelques municipalités.
Autre secousse politique, la décision mardi du président Les Républicains Eric Ciotti de s'allier avec le Rassemblement national...
C'est une véritable implosion des Républicains. Eric Ciotti, président du parti, s'est déclaré en faveur d'une alliance avec Marine Le Pen, suivi par quelques cadres, mais pas par les anciens ministres de Nicolas Sarkozy. Cela clarifie la situation: depuis des années, une partie de la droite utilise le même langage et propose les mêmes solutions que Marine Le Pen. L'attrait du RN est désormais assez fort pour attirer ceux qui aspirent au pouvoir. Eric Ciotti, rêvant de devenir ministre de l'Intérieur, voit en Marine Le Pen une chance plus probable de réaliser son ambition.
>> En lire plus : La droite française se déchire sur une possible alliance avec le RN en vue des législatives
Trois jours après l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale, est-ce qu'on comprend mieux la stratégie d'Emmanuel Macron?
Emmanuel Macron croit pouvoir déjouer les sondages, comme il l'a fait en 2017, et créer la surprise comme en 2022 en parvenant à se faire réélire pour un deuxième mandat. Toutefois, ses proches craignent qu'il ne sous-estime le sentiment anti-macroniste. Le basculement de régions centristes modérées, comme la Bretagne et l'Île-de-France, vers le RN est un signal fort d'une désaffection envers lui. Malgré cela, il semble ne pas remettre en question ses actions.
Sur les réseaux sociaux, la rumeur court qu'Emmanuel Macron aura fait cela pour démissionner et se représenter à un troisième mandat...
A l'Elysée, on pense que la dramaturgie autour de cette élection pourrait réveiller les Français et les pousser à voter. Toutefois, les calculs politiques farfelus qu'on entend sont exagérés. La prise de risque actuelle est déjà énorme: le RN, créé par Jean-Marie Le Pen avec la préférence nationale au cœur de son programme, pourrait arriver au pouvoir. C'est une prise de risque suffisamment significative pour ne pas extrapoler davantage.
Est-ce qu'il faut s'attendre à ce que la jeunesse qui a voté RN (25% des 18-24 ans, selon Ipsos) se mobilise dans la rue?
Pas du tout. Les jeunesses qui soutiennent et s'opposent au RN sont très différentes. Celle qui vote majoritairement pour Jordan Bardella habite plutôt en milieu rural ou péri-urbain et est moins politisée. Une mobilisation massive de cette jeunesse n'est pas dans l'intérêt de Marine Le Pen, car cela attirerait l'attention sur les liens du RN avec des groupuscules plus radicaux, ce qu'elle veut éviter à tout prix.
Propos recueillis par Isabelle Cornaz/vajo
Les maires des communes françaises sont préoccupés
Avec seulement trois semaines pour organiser les élections législatives, les maires français ressentent une pression intense. Dans un communiqué, ils accusent le gouvernement d'être déconnecté de la réalité du terrain. C'est pour eux un casse-tête organisationnel et sécuritaire.
Certains, dans les colonnes du Monde, craignent des débordements similaires à ceux de 2002, lors de la candidature à la présidentielle de Jean-Marie Le Pen, ou des émeutes comme celles de l'été dernier.