Quelque 353 millions de tonnes, c’est le chiffre vertigineux de la production mondiale de déchets plastiques. Entre 2000 et 2019, elle a doublé et cette tendance risque encore de s’accentuer. Cette pollution envahit les champs, les villes et des lacs. Les rivières charrient des milliers de tonnes de déchets et finissent par se jeter dans l’océan: chaque minute, vingt tonnes sont déversées dans les mers.
"Je trouve ça absolument fascinant et sidérant d'imaginer qu'on peut aller au milieu des océans et avec nos filets, on va sortir des microplastiques dans des régions absolument désertes où aucun être humain n'est allé. (…) On est à des milliers de kilomètres des côtes des continents, on en trouve dans les glaces et dans les roches", constate dans Géopolitis Pascal Hagmann, directeur d'Oceaneye, une association genevoise spécialisée dans la surveillance de la pollution microplastique des eaux. "Le premier élément particulièrement inquiétant de la pollution plastique, c'est son omniprésence. Et le deuxième, c'est l'irréversibilité de cette pollution. On est absolument incapables de les retirer de l'environnement."
Oceaneye vient de publier une étude sur la pollution microplastique dans huit lacs de Suisse. Résultat: 100% des lacs étudiés sont concernés. Et plus particulièrement le lac Léman et le lac de Zurich, dans des concentrations comparables à celles des océans. L'association pointe également une dégradation de la situation depuis 2014.
Une pollution omniprésente
Cette pollution menace non seulement l’environnement mais aussi la santé publique. "C'est la préoccupation centrale pour les êtres humains. (…) Aujourd'hui, on est capable de mesurer des microplastiques dans les poumons, dans le système sanguin, dans le placenta, dans la sève des arbres. Il y en a absolument partout", s’inquiète Pascal Hagmann.
"La pollution plastique affecte tout le monde tout au long de la chaîne de valeur, depuis l'extraction du pétrole, du gaz et du charbon pour fabriquer du plastique, jusqu'à l'exportation des déchets vers des pays tiers, où ils finissent par être brûlés ou se retrouvent dans des décharges", déplore pour sa part Delphine Levi Alvares, membre du mouvement Break Free from Plastic. Les déchets plastiques produits par les pays industrialisés font le tour du monde. Rien que l’an dernier, l’Union européenne a exporté plus d’un million de tonnes de déchets plastiques, essentiellement vers la Turquie, le Vietnam, la Malaisie et l’Indonésie, principaux pays recycleurs.
Un fléau environnemental, un business très lucratif
Une gestion complexe avec en toile de fond le business très lucratif du recyclage des déchets plastiques. Un marché mondial estimé à 40 milliards de dollars. Une manne économique pour les pays recycleurs, mais aussi une plaie environnementale. Bali et ses plages paradisiaques souillées par des tonnes de déchets constituent un exemple emblématique.
La Turquie, qui s’est affirmée comme l’un des leaders mondiaux du recyclage des déchets plastiques, est confrontée à des problèmes de pollution. "Il faut savoir que moins de 30% des déchets plastiques ont été incinérés ou recyclés, ce qui fait que plus de 70% sont mis en décharge ou dispersés dans l'environnement. Et bien sûr, il faut mettre en place les infrastructures qui permettent le traitement de ces déchets", souligne Pascal Hagmann. La gestion des déchets constitue l’un des enjeux centraux du futur traité international pour limiter la pollution plastique.
L’enjeu d’un traité international
Ce fléau environnemental entraîne des prises des conscience. Longtemps leader mondial du recyclage des matières plastiques, la Chine a mis fin en 2018 aux importations de certains types de plastiques. "C’est un bon signal. C’est une prise de conscience que chaque pays est responsable de ses déchets", relève Pascal Hagmann. "De manière générale, on aime bien taper sur la tête du consommateur. Mais il ne faut pas oublier non plus le producteur et surtout le législateur", poursuit le chercheur. "C'est aussi un choix politique de mettre en place des mesures qui nous permettent, nous consommateurs, d'avoir le choix de réduire."
D’ici 2026, l’Union européenne ne pourra plus exporter ses déchets plastiques dans des pays hors de l’OCDE. En 2022, l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement a lancé des négociations sur un nouveau traité international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique. Deux camps s’opposent. Ceux qui veulent mettre fin à la pollution plastique d’ici 2040, en réduisant la production globale, et certains Etats producteurs – et souvent pétroliers - comme la Chine, l’Arabie saoudite ou la Russie qui préféreraient que le futur traité se focalise uniquement sur la réduction des déchets. Un nouveau cycle de négociations débutera en novembre prochain à Busan, en Corée du Sud.
Olivier Kohler