"Cet assassinat politique est l'issue logique des persécutions infligées à Alexeï Navalny"
La cause de la mort d'Alexeï Navalny n'a pas encore été établie, mais pour Françoise Daucé, directrice du Centre d'études russes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, "tous les indices sont là pour faire porter la responsabilité de ce décès au régime russe de façon très évidente".
"Cet assassinat politique est l'issue logique des persécutions infligées à Alexeï Navalny depuis sa tentative d'empoisonnement en 2020", affirme-t-elle dans l'émission Forum, ajoutant qu'il s'inscrit dans la continuité "des assassinats perpétrés par le pouvoir russe depuis le début des années 2000" contre ses opposants politiques.
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Symbole de toute-puissance
Pour Françoise Daucé, le décès d'Alexeï Navalny est un symbole très fort envoyé de la part du président russe Vladimir Poutine. "C'est une façon, à quelques semaines des élections, de montrer sa toute puissance et son cynisme total dans l'exercice du pouvoir."
Les Russes seront en effet appelés aux urnes en mars pour une élection présidentielle, à laquelle Alexeï Navalny avait essayé de se présenter en 2018. "Mais surtout, il avait mis en place le 'vote utile', qui consistait à voter pour tous les opposants, quels qu'ils soient, à Vladimir Poutine", rappelle Françoise Daucé.
"Et je pense que l'idée est probablement de montrer que cette stratégie de voter contre Poutine peut être même punie de mort", analyse-t-elle.
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La mort de trop?
Mais si la mort d'Alexeï Navalny semble, à court terme, réaffirmer le pouvoir russe, elle pourrait s'avérer être "la mort de trop". Dans plusieurs villes du pays en effet, des Russes ont déposé des fleurs aux pieds de monuments aux victimes de la répression politique sous l'URSS, en hommage à Alexeï Navalny.
Si cela peut sembler anodin, pour Françoise Daucé, il faut tout de même prendre cet acte au sérieux, car les possibilités de manifester en Russie sont "extrêmement réduites". Dans ce pays, toute critique publique du pouvoir est en effet passible de prison.
"Pour l'instant on n'a pas vu se lever de grand engouement de foule, mais en même temps, ces formes de soutien à Alexeï Navalny montrent aussi que la société russe n'est pas aussi monolithique que le souhaiterait le pouvoir."
Indignation occidentale
Le décès d'Alexeï Navalny a également suscité de vives réactions internationales, beaucoup de pays occidentaux tenant le régime russe pour seul responsable. "Le pouvoir russe a franchi toutes les bornes en matière du non-respect des droits de l'homme", estime Françoise Daucé.
Pour la spécialiste de la Russie, un énorme fossé s'est creusé entre les démocraties occidentales et Moscou depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, mais il est difficile de prévoir d'éventuelles représailles. "Il est très difficile de savoir comment faire pression sur la Russie, si ce n'est peut-être en continuant à soutenir inlassablement tout ce qui porte une parole alternative à celle du régime", dit-elle. "Donc je pense qu'il y a un devoir de solidarité à l'égard de tous ceux qui luttent en Russie."
Propos recueillis par Valentin Emery
Adaptation web: Emilie Délétroz avec agences
Manifestations partout en Europe
Des centaines de personnes se sont rassemblées vendredi soir à travers l'Europe pour rendre hommage à Alexeï Navalny.
Quelque 150 personnes se sont réunies à la place des Nations à Genève, portrait de l'opposant ou bouquets de fleurs blanches à la main, tandis qu'à Zurich, environ 300 personnes se sont spontanément rassemblées pour une cérémonie commémorative à côté de la gare principale.
A Varsovie, une centaine de personnes ont manifesté devant l'ambassade de Russie en Pologne, en majorité des jeunes dont beaucoup semblaient bouleversés.
Plusieurs centaines de personnes brandissant des portraits du défunt se sont également rassemblées en Lituanie, pays très critique envers la Russie. La manifestation s'est tenue au mémorial des victimes de l'occupation soviétique à Vilnius.
Ils étaient également plusieurs centaines à Berlin devant l'ambassade de Russie. Dans une foule en majorité russophone à laquelle se mêlaient des Allemands, de nombreuses pancartes portaient des photos ou des citations de l'opposant ou des insultes à l'encontre de Vladimir Poutine.
Aux Pays-Bas, plusieurs centaines de personnes ont manifesté place du Dam devant le palais royal à Amsterdam ainsi que devant l'ambassade russe à La Haye, sur les grilles de laquelle un portrait du défunt a été accroché.
A Londres, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées en face de l'ambassade de Russie, derrière des barrières, portant des pancartes en anglais ou en russe disant "Poutine assassin", "Navalny notre héros" ou encore "N'abandonnez pas".