Mercredi dernier, des milliers d’Iraniennes et d’Iraniens ont découvert un concert inédit de Parastoo Ahmadi sur YouTube. Accompagnée sur scène par quatre musiciens, vêtue d'une robe noire dévoilant sa tête et ses épaules, la chanteuse a transgressé trois règles imposées aux femmes en Iran: ne pas chanter seule en public, se voiler et se couvrir le corps.
En légende de sa vidéo, l’artiste a livré un message chargé d’émotion et de défi: "Je suis Parastoo, une fille qui veut chanter pour les gens que j'aime. C’est un droit que je ne peux ignorer; chanter pour la terre que j'aime passionnément. Ici, dans cette partie de notre Iran bien-aimé, où l'histoire et nos mythes s'entremêlent, entendez ma voix dans ce concert imaginaire et imaginez cette belle patrie. Je suis reconnaissante à tous ceux qui m'ont soutenu dans ces circonstances difficiles et particulières."
Samedi, l'artiste a été arrêtée avec deux de ses musiciens, avant d'être relâchée le lendemain, suscitant de nombreuses réactions en Iran.
Un contexte législatif et politique tendu
Ces évènements interviennent alors qu’une nouvelle loi sur le port du voile, votée par le Parlement iranien, devait entrer en vigueur vendredi dernier. La loi, qualifiée d’extrême par des ONG de défense des droits humains comme Amnesty International, prévoit des sanctions pouvant aller jusqu'à la peine de mort. Cependant, son application a été suspendue in extremis par le gouvernement.
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Le président réformateur Massoud Pezeshkian a exprimé ses doutes face à un texte jugé trop sévère qui pourrait provoquer des tensions au sein de la société.
Les signaux contradictoires du régime
La marche-arrière du gouvernement, tout comme la libération de Parastoo Ahmadi, sont pour l'heure difficiles à analyser estime Jonathan Piron, historien et spécialiste du Moyen-Orient. D’abord parce que la République islamique n'est pas un tout homogène et est traversée par des courants plus ou moins favorables à un durcissement des lois.
Ensuite, parce que le régime iranien envoie des signaux contradictoires. L’expert rappelle d’un côté les exécutions récurrentes, et de l’autre, des libérations comme celle début décembre du rappeur Toomaj Salehi, précédemment condamné à mort, ou encore celle temporaire et pour raisons médicales de la Prix Nobel de la Paix Narges Mohammadi. Dans le cas de Parastoo Ahmadi, rien n’indique d’ailleurs que la chanteuse ne sera pas à nouveau arrêtée dans les jours qui viennent.
Cependant, cette politique du flou ne reflète pas nécessairement un affaiblissement du régime. Les lignes rouges ne sont pas claires, et peuvent évoluer très vite. Ce qui entretient, sciemment, une certaine pression sur la contestation, analyse l’expert.
Des soulèvements peu probables
Malgré ces signes d’agitation, un nouveau soulèvement populaire, comme celui qui avait suivi la mort de Mahsa Amini en 2022, semble peu probable, selon les analystes. La population iranienne, épuisée par une crise économique profonde, lutte quotidiennement pour sa survie.
Selon des chiffres récents du Parlement iranien, au moins un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le spectre de manifestations pourrait davantage se matérialiser en cas de réduction des subventions à l’essence, un sujet sensible en Iran que le président Massoud Pezeshkian a remis à l’agenda politique.
Julie Rausis/ther