Comment expliquer l'absence de candidature alternative à la présidentielle américaine?
1 - Une question de financement
Les campagnes présidentielles américaines sont parmi les plus coûteuses au monde. Pour se faire connaître et donc se démarquer, les candidats et candidates doivent disposer de ressources financières considérables. Or, les "petits candidats" qui n'appartiennent ni au Parti républicain ni au Parti démocrate en sont souvent dépourvus.
La présidentielle exacerbe ainsi la place des grandes fortunes dans le jeu politique. Les milliardaires alimentent discrètement les caisses des démocrates ou des républicains à coups de millions de dollars, l'idée étant de s'assurer une certaine influence auprès du candidat potentiellement élu. Depuis 2010, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer ce système qui empêcherait "de facto" l'émergence d'un troisième parti, faute de soutien financier.
Dans un pays basé sur la rentabilité, les donateurs n'ont aucun intérêt à investir dans des petits partis
"Le Parti démocrate et le Parti républicain sont tellement institutionnalisés que la plupart des gros donateurs financent automatiquement ces partis. Il n'y a donc plus de place pour faire émerger des petits candidats", explique à RTSinfo Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS. En outre, ajoute-t-il, dans un pays où tout est basé sur la rentabilité, les donateurs n'ont aucun intérêt à investir dans des petits partis.
Par ailleurs, avec le déplafonnement des financements, l'importance des donateurs privés grandit à chaque scrutin. En 2020, le magazine Forbes estimait à 2,3 milliards de dollars le total versé par les 20 plus gros donateurs du pays. A lui seul, Joe Biden a dépensé plus d'un milliard de dollars pour sa campagne cette même année contre environ 808 millions pour Donald Trump. Mais en 2008, Barack Obama avait déjà fait exploser les compteurs avec une campagne chiffrée à plus de 750 millions de dollars, uniquement construite sur des fonds privés.
2 - Un système limité à deux partis
Le système politique bipartite explique également l'absence de candidats émergents. Contrairement à plusieurs pays comme la Suisse ou la France, les "petits partis" sont très peu considérés aux Etats-Unis, que ce soit par les donateurs, les médias ou les citoyens eux-mêmes.
Il y a pourtant bien plus de candidats qu'on ne le pense qui se présentent à la présidentielle américaine de 2024. Leurs chances demeurent toutefois infimes, le système électoral favorisant uniquement les grands partis. Lors des dernières élections en 2020, les candidats indépendants se sont partagés à peine 1,62% des voix. Le Parti libertarien a obtenu 1,18% des voix et le Parti écologiste 0,26% des voix.
L'absence de parti intermédiaire implique également que les démocrates et les républicains modérés partagent parfois plus de similitudes entre eux que les membres extrémistes de leur propre parti. "En conséquence, personne n'a intérêt à se séparer de son parti pour rejoindre un parti plus petit et moins influent, dépourvu de soutien financier", explique Romuald Sciora.
Au 28 octobre 2020, la Commission fédérale électorale (FEC) répertoriait 1224 candidats. Parmi ceux-ci, 325 se revendiquaient démocrates, 164 républicains, 35 libertariens, 23 écologistes et pour le reste ce sont des indépendants. Or, étant donné que la FEC n'invite aux débats présidentiels que les candidats crédités de 15% d'intentions de vote, il est plus difficile pour les candidats issus de partis tiers de faire parler d'eux.
Parmi les candidats "tiers" qui sont encore dans la course, on retrouve Robert Francis Kennedy Jr qui concourt comme indépendant. Avocat spécialisé dans les questions environnementales, il pourrait siphonner des voix précieuses à Biden et Trump. Dans le "Green party" (ndlr: parti écologiste), soit l'un des partis tiers les plus connus aux Etats-Unis, c'est Jil Stein qui se porte candidate.
>> Lire aussi : Aux Etats-Unis, d'anciens républicains et démocrates forment un 3e parti, centriste
3 - Des barrières culturelles
La culture américaine y est également pour quelque chose, estime le spécialiste des Etats-Unis. Cette dernière favorise souvent la prudence et la conformité. Les électeurs sont souvent attirés par des candidats qui incarnent la stabilité et la familiarité, ce qui rend difficile pour les outsiders de percer. "Ce système bipartite est ancré dans la mentalité américaine. Voter pour un autre parti, c'est presque quelque chose de douteux, de louche."
En outre, dans un pays où les médias jouent un rôle crucial dans la formation de l'opinion publique, la notoriété et la visibilité médiatique sont des facteurs déterminants dans la course à la présidentielle.
En invitant un petit candidat, issu d'un parti tiers, les chaînes de télévision sont sûres de ne pas avoir d'annonceurs
Or, étant donné que les chaînes de télévision américaines ne touchent pas d'aide fédérale, elles dépendent des recettes publicitaires. Elles préfèrent donc se concentrer sur des candidats déjà bien établis plutôt que d'illustres inconnus. "On court tous après les stars et je ne parle pas uniquement des médias. Mais en invitant un petit candidat, issu d'un parti tiers et donc sans financement, les chaînes sont sûres de ne pas avoir d'annonceurs." Cette faible visibilité médiatique limite donc leur capacité à accroître leur soutien et à élargir leur base électorale.
Enfin, pour Romuald Sciara, il est difficile de parler de "véritable système démocratique" aux Etats-Unis étant donné que celui-ci est régi par seulement deux partis. "Ils exercent un monopole et font tout pour tuer dans l'oeuf ce qui pourrait émerger à droite ou à gauche. Cela peut être considéré comme une atteinte à la démocratie et aux droits des électeurs."
Hélène Krähenbühl