Ce rebond est perceptible presque partout sur le globe, selon une analyse publiée cette semaine par Bloomberg News et la société Airfinity, spécialisée dans la prévision des maladies. Les raisons de cette flambée ne sont pas encore totalement connues. Il y a des facteurs avérés, des hypothèses et des inconnues.
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Un socle de données factuelles recueillies auprès de plus de 60 organisations et agences de santé publique dans le monde permet de tirer quelques constats. En Chine, par exemple, les cas de coqueluche ont explosé. L’Argentine connaît sa pire épidémie de dengue. La rougeole fait son retour aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. Quelque 7,5 millions de personnes ont contracté la tuberculose en 2022, soit le chiffre annuel le plus élevé depuis que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) tient un registre.
Effet de rattrapage
L’étude montre que, dans une quarantaine de pays, la résurgence de certaines maladies infectieuses est nettement plus élevée que le niveau de référence avant la pandémie, en 2019. Les mesures sanitaires très strictes — et les confinements dans plusieurs régions du monde — avaient fait sensiblement baisser les cas de maladies transmissibles, comme la grippe.
On voit des rebonds de maladies comme la malaria, parce qu'on ne distribue plus de moustiquaires, ou comme la rougeole, parce qu'on ne vaccine plus
Il y a aujourd'hui un effet de rattrapage, explique dans l'émission Tout un monde Valérie d’Acremont, médecin responsable du secteur santé globale à Unisanté. "Pendant le Covid, il s'est passé plusieurs choses qui ont eu des impacts importants sur les maladies infectieuses. C'est spécifiquement cette dette immunitaire qui fait que, comme on n'était plus exposés aux pathogènes respiratoires, on n'a plus l'effet de boosting de vaccination naturelle qu'on a d'habitude. On est donc fragilisés, et ces maladies resurgissent."
Mais selon la professeure à l'Université de Lausanne, d'autres facteurs expliquent la situation actuelle. "Les programmes de prévention ont été stoppés pendant le Covid. On voit des rebonds de maladies comme la malaria, parce qu'on ne distribue plus de moustiquaires, ou comme la rougeole, parce qu'on ne vaccine plus."
Mauvaise couverture vaccinale
Durant la pandémie de Covid, les programmes de vaccination pour d’autres maladies ont été perturbés, notamment à cause de l'interruption des chaînes d’approvisionnement. Le taux de vaccination a ainsi baissé. En 2021, selon les chiffres de l’UNICEF, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, 25 millions d’enfants n’ont pas eu les trois doses nécessaires du vaccin contre le tétanos, la diphtérie et la coqueluche.
Aujourd'hui, un certain nombre d'enfants sont mal protégés, et on voit réapparaître des épidémies de rougeole, d'oreillons, de coqueluche
Il y a aussi une défiance accrue à l’égard des vaccins, rappelle Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’Université de Genève. "Il y a eu une forme de mouvement anti-vaccin qui a dépassé le cas du Covid et qui s'est tourné vers un certain nombre de vaccinations pour lesquelles personne ne posait jusqu'à présent beaucoup de questions, mais où des parents se sont mis à être hésitants."
"Aujourd'hui, un certain nombre d'enfants sont mal protégés, et on voit réapparaître des épidémies de rougeole, d'oreillons, de coqueluche. Par exemple, pour la rougeole, il faut que 95% de la population soit couverte pour ne pas avoir d'épidémie", rappelle l'épidémiologiste.
Le réchauffement climatique joue également un rôle important dans la flambée de certaines maladies, comme la dengue ou la malaria, analyse Valérie d’Acremont. "Avec le changement climatique, les vecteurs qui aiment le chaud prolifèrent. Pareil pour ceux qui aiment l'eau, notamment la dengue, avec l'augmentation des inondations."
Lien entre pauvreté et maladies
Certains pays ou certaines régions sont plus affectés que d’autres pour des raisons économiques. Il y a un lien manifeste entre la pauvreté, le manque d’infrastructures de base et les maladies infectieuses. Et, relève Antoine Flahault, "on a des raisons de ne pas être satisfaits de la façon dont on a géré un certain nombre de maladies que l'on a su éliminer complètement de notre environnement."
On aurait pu vouloir éradiquer de la planète ces maladies liées à la grande pauvreté, comme on l'a fait pour la variole. Quand on a voulu le faire, on l'a fait
"Je pense au choléra ou au paludisme qu'on a su totalement éliminer en Europe. On l'a fait non pas par des vaccins, mais par le développement, l'assainissement de l'eau, qui a permis de faire reculer totalement le choléra de toutes nos villes."
Pour l'épidémiologiste, le travail n'a pas été fini. "On aurait pu vouloir éradiquer de la planète ces maladies liées à la grande pauvreté, comme on l'a fait pour la variole. Quand on a voulu le faire, on l'a fait, et on était en train de le faire pour la poliomyélite. Donc on peut toujours avoir espoir qu'un jour, on le fasse aussi pour le choléra et bientôt pour le paludisme."
Sujet radio: Patrick Chaboudez
Version web: Antoine Schaub
Changer de mode de vie
Outre les mesures de protection habituelles — hygiène, désinfection, vaccin — Valérie d’Acremont appelle à changer de mode de vie pour lutter contre la racine du problème. Selon la professeure, quatre facteurs de fond favorisent les maladies infectieuses.
On ne travaille pas sur la cause des problèmes, on est plutôt réactifs et ça, c'est vraiment dommageable
Elle cite le réchauffement climatique, la déforestation, l'élevage intensif et l'intensification des voyages en avion. Outre le climat plus chaud qui facilite la prolifération de maladies, "la déforestation massive fait qu'il y a des nouveaux pathogènes qui émergent, surtout liés aux animaux. Ce qui est amplifié dans les élevages intensifs de nos bétails. Et puis ils se diffusent très vite à un niveau planétaire avec nos voyages en avion qui ont énormément augmenté."
"Si on veut vraiment diminuer notre exposition à toutes ces maladies infectieuses, il faut travailler sur ces quatre facteurs. C'est malheureusement rarement inclus dans les programmes de protection contre les pandémies. On ne travaille pas sur la cause des problèmes, on est plutôt réactifs et ça, c'est vraiment dommageable."
Quelle est la situation en Suisse?
Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le nombre de cas de nombreuses maladies est en augmentation en Suisse et se situe actuellement à un niveau pré-pandémique. Les raisons sont multiples et varient d'une maladie à l'autre. La mobilité et les voyages qui ont repris après la pandémie de Covid-19 sont notamment cités.
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Pour l'instant, l'OFSP n'a pas toutefois d'indications sur un dépassement du nombre de cas à un niveau inattendu.