La popularité des discours dits "anti-système" (voir encadré ci-dessous pour une définition détaillée) repose sur une dichotomie simple: le peuple d'un côté et une "petite élite" de l'autre. Cette dernière, à la fois politique, économique et médiatique, monopoliserait le pouvoir et serait responsable à elle seule de tous les maux de la société.
"Il s'agit d'une posture Robin des Bois, jouant sur la frontière entre victimisation et outsider. Cette approche, à la fois chevaleresque et démagogique, fonctionne très bien en politique", explique à RTSinfo Matthieu Wildhaber, spécialiste en rhétorique et chroniqueur pour La Matinale.
Ainsi, les figures politiques adeptes de cette rhétorique se positionnent comme des "outsiders" et des défenseurs du peuple contre un establishment défaillant. Ce discours est souvent associé à des promesses de réformes profondes ou de ruptures radicales avec le passé.
Une rhétorique utilisée à gauche comme à droite
En France, on retrouve ce type de discours au Front national puis au Rassemblement national. Mais cette rhétorique n'est pas l'apanage des partis d'extrême droite. On peut ainsi en trouver des accents chez Jean-Luc Mélenchon, mais aussi chez Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, relève Franceinfo.
Les discours anti-système ont toujours existé, mais les réseaux sociaux leur ont offert une rampe de lancement sans précédent
Ainsi, Marine Le Pen critique les élites globalistes, l'Union européenne et les médias traditionnels, les accusant de négliger les préoccupations des citoyens et citoyennes ordinaires. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, utilise une rhétorique similaire, mais se concentre davantage sur la dénonciation du capitalisme et des inégalités sociales.
Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux
Si les discours "anti-système" ont toujours existé, les réseaux sociaux leur ont offert "une rampe de lancement sans précédent", souligne Matthieu Wildhaber. "En outre, la crise du Covid, avec sa vision manichéenne de la situation, a accentué ce type de discours, créant des camps bien définis et facilitant les attaques des uns contre les autres."
Dans le même temps, les figures "anti-système" telles que Donald Trump et Jair Bolsonaro rejettent quasi systématiquement les médias traditionnels pour privilégier des canaux de diffusion alternatifs via les réseaux sociaux. Une approche qui leur permet de contourner les critiques des médias établis, mais aussi de diffuser leurs messages directement au public, sans filtre ni contradiction. "Il y a un côté marketing à entretenir et les politiques l'ont bien compris", souligne Matthieu Wildhaber.
Une réaction au mécontentement populaire
Les inégalités croissantes, la baisse du pouvoir d'achat et la perception d'une déconnexion croissante entre les élites et les citoyens ont alimenté ce phénomène. Ainsi, le mécontentement croissant des citoyens est étroitement lié à la montée de ce type de discours qui flirte parfois avec le populisme.
Certains sujets comme l'écologie ou la crise sanitaire sont plus propices à générer des discours anti-système
En Argentine, le président Javier Milei a, par exemple, capitalisé sur l'exaspération vis-à-vis des élites politiques traditionnelles et des politiques économiques jugées inefficaces. Sa critique virulente des partis établis et son appel à une révolution économique ont séduit un électorat frustré par des années de gestion politique jugée défaillante, marquée par l'insécurité, l'inflation et la pauvreté. "Entre la mafia et l’État, je préfère la mafia. La mafia a des codes, elle tient ses engagements, elle ne ment pas, elle est compétitive", avait-il notamment déclaré.
En outre, certains sujets, comme l'écologie ou la crise sanitaire, sont plus propices à générer ce type de discours en raison de leur nature émotionnelle, explique Matthieu Wildhaber. "Les discours anti-système piègent souvent le système lui-même. Si une minorité se victimise, il est alors délicat pour la majorité de rétorquer sans risquer de paraître attaquer plus faible que soit. Ce phénomène est illustré par des figures comme Pablo Escobar ou des séries comme 'La Casa de Papel', où les délinquants obtiennent le soutien du peuple contre l'autorité en place."
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Un moyen de se "déresponsabiliser"
Enfin, cette rhétorique est souvent utilisée par certains politiciens comme bouclier pour esquiver leurs responsabilités ou s'extraire d'une situation difficile. Ainsi, lorsque des scandales les touchent, au lieu de les discréditer, ils deviennent la preuve qu'ils perturbent le système en place et qu'ils ont donc raison de le dénoncer.
Ce raisonnement est particulièrement visible avec Donald Trump: ses multiples inculpations ne freinent en rien sa campagne présidentielle. Au contraire, elles renforcent son discours selon lequel il serait la victime d'une attaque orchestrée par les institutions en place.
Cependant, l'utilisation excessive de cette rhétorique n'est pas sans risque, explique Matthieu Wildhaber. "Il faut pouvoir assurer sur le fond et prouver ses accusations. De plus, à force d'abuser de ce discours, les frontières entre système et anti-système s'estompent, risquant de noyer le discours. Le terme 'anti-système' perd en quelque sorte de sa valeur."
Hélène Krähenbühl
De quel "anti-système" parle-t-on exactement?
En science politique, une définition largement reconnue, formulée dans les années 1960 par le chercheur italien Giovanni Sartori, décrit les partis "anti-système" comme ceux qui contestent la légitimité même du système politique auquel ils appartiennent.
Cette définition ne correspond toutefois plus aux partis actuels, qui ne cherchent pas à renverser les régimes politiques en place, mais plutôt à s'emparer du pouvoir et à le gérer. Aujourd'hui, le terme "anti-système" ne renvoie donc plus à une vision politique précise, mais davantage à un positionnement rhétorique. Cette dernière s'appuie sur l'idée que le système politique, économique ou social dominant est fondamentalement corrompu, injuste ou inefficace. Et qu'il sert avant tout les intérêts d'une minorité privilégiée aux dépens de la majorité.
"Le succès de la rhétorique anti-système tient à la malléabilité de ce concept. Il est facile de lui donner la définition implicite que l’on souhaite, de façon à pouvoir cibler ses adversaires et s’ériger au rang de victime ou d’outsider", écrit le sociologue Nicolas Framont dans une tribune publiée dans le journal "Le Monde".