Comment l'attentat de Moscou et les accusations contre l'Ukraine révèlent les failles sécuritaires russes
La Russie était en deuil ce week-end après l'attaque contre la salle de concert du Crocus City Hall, qui a fait au moins 137 morts et 180 blessés.
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Si l'attentat a rapidement été revendiqué par le groupe Etat islamique au Khorasan (EI-K), les autorités russes ne mentionnent jamais l'organisation terroriste, préférant pointer du doigt une seule et unique responsable: l'Ukraine.
Dans un premier temps, le service de renseignement russe (FSB) avait affirmé ainsi que les suspects avaient des contacts côté ukrainien. Quelques heures plus tard, dans sa première prise de parole officielle, le président russe Vladimir Poutine a annoncé la capture des auteurs de l’attaque dans la région de Briansk en chemin vers l’Ukraine où une "fenêtre" leur aurait été préparée "pour qu'ils franchissent la frontière".
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De son côté, l’Ukraine martèle n’avoir aucun lien avec l’attentat: "Ce qui s'est passé hier est évident: Poutine et les autres salauds essaient juste de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre", dénonce le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui craint que la Russie ne profite de ce prétexte pour intensifier et justifier sa guerre.
Les avertissements américains ignorés
Mais au-delà de cette volonté de justification, cette insistance russe à orienter les regards vers l'Ukraine vise aussi à masquer les failles des services de renseignement. Car la Russie, souvent qualifiée d'Etat policier où les "structures de force" telles que la police, les services secrets et l'armée sont tout puissants, a échoué à déjouer le pire attentat que le pays a connu ces 20 dernières années.
Les terroristes ont réussi à s'échapper, ce n'est pas normal. Parcourir autant de kilomètres et ne pas être détectés, c'est très étrange
"Ce qui est frappant, c'est l'incompétence catastrophique de nos services de sécurité", soulignait notamment Ivan Jdanov, l'ancien bras droit du principal opposant au Kremlin Alexeï Navalny.
Pour le Financial Times, les failles du FSB se sont élargies depuis l’invasion en Ukraine en 2022. Avant, relève le quotidien, le FSB portait une attention particulière à la menace du terrorisme islamique. Mais depuis, les forces de sécurité se concentrent davantage sur la répression de l'opposition à la guerre.
Les signaux d'alerte existaient pourtant. La Russie avait reçu des informations sur un projet d’attentat à Moscou transmises au début du mois par le gouvernement américain, mais ignorées publiquement par Vladimir Poutine.
Réaction tardive après l'attaque
Sans compter qu'une opération de l'ampleur de celle de Moscou nécessite une préparation et un entraînement. "On sait qu'un des terroristes, par exemple, est allé plusieurs fois sur place pour faire du repérage. Mais ces gens-là passent sous le radar", relaie dans La Matinale lundi Régis Genté, journaliste dans le Caucase.
Des voix s'élèvent aussi pour souligner les dysfonctionnements dans ce qui s'est passé vendredi soir, avec une intervention très tardive des forces de l'ordre. "Les terroristes ont réussi à s'échapper, ce n'est pas normal. Parcourir autant de kilomètres et ne pas être détectés, c'est très étrange", estime Georgi, un étudiant interrogé dans Tout un monde lors d'un rassemblement de deuil devant le Crocus City Hall.
Le réveil du groupe Etat islamique
À force de persister dans son "endoctrinement géant contre l’Ukraine", comme l'écrit Libération, Vladimir risque d'être en plein déni du réveil de la menace djihadiste. Car l'EI-K est depuis longtemps dans le viseur des polices et services de renseignement. Plusieurs réseaux ont été démantelés en Europe, notamment un premier réseau russo-tadjik en Allemagne en 2020. D'autres ont subi le même sort en 2022 et 2023.
Le 7 mars dernier, les autorités russes ont d'ailleurs affirmé avoir tué des membres présumés de l'EI-K lors d'une opération dans la région de Kalouga, au sud-ouest de Moscou, les accusant d'avoir préparé un attentat contre une synagogue de la capitale.
"La Russie est une cible principale et facile, parce qu'il est simple de se rendre en Russie depuis l'Asie centrale", constate dans le 19h30 samedi Fabrice Balanche, professeur à l'Université Lumière Lyon 2, avant de préciser: "La Russie apparaît comme un ennemi de l'islam, un pouvoir impérialiste que l'Etat islamique veut combattre. Il y a un sentiment de vengeance à l'égard de la Russie, qui a combattu l'EI en Syrie et en Libye et qui a écrasé la Tchétchénie."
Victorien Kissling